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XR et santé : quand la technologie transforme les soins


Rédigé par Joëlle Hayek le Lundi 30 Juin 2025 à 16:50 | Lu 93 fois


Directeur de l’ILFOMER, l'Institut des sciences de la réadaptation de l’Université de Limoges, le Professeur Anaïck Perrochon s’intéresse principalement aux applications de la réalité étendue, ou XR, pour la prise en charge des troubles cognitivo-moteurs. Mais il explore également ses autres usages dans le monde de la santé, notamment à travers le Centre limousin de Simulation Virtuelle en Santé, mais aussi du laboratoire HAVAE, où il est responsable d’une thématique de recherche sur la NeuroXR. Rencontre.



© ILFOMER - Université de Limoges
© ILFOMER - Université de Limoges
Avant d’explorer les usages des réalités alternatives, pourriez-vous commencer par des précisions terminologiques ?

Pr Anaïck Perrochon : De manière simplifiée, la réalité virtuelle (virtual reality, ou VR) offre une expérience immersive totale, qui remplace l’environnement réel par une simulation. La réalité augmentée (augmented reality, AR), quant à elle, enrichit notre environnement en superposant des éléments numériques à la vue en direct. Enfin, la réalité mixte (mixed reality, MR) fusionne les mondes réels et virtuels en permettant une interaction entre eux. Toutes ces technologies qui altèrent la réalité, qui modifient le sens de la vision, peuvent être regroupées sous le terme parapluie de réalité étendue (extended reality, XR), qui est celui que je vais privilégier ici – le choix entre VR, AR ou MR étant fonction des besoins, des usages et du public adressé, nous y reviendrons.

Justement, quelles sont les principaux usages de la XR dans le monde de la santé ?

Nous pouvons les classer en grandes catégories. Tout d’abord, la formation, où la XR autorise de nombreuses innovations pédagogiques. Par exemple, elle permet de créer des vignettes cliniques pour confronter les étudiants à des cas rares qu’ils ne verraient pas nécessairement en stage. En modifiant le lieu et l’espace-temps, la XR va amener l’hôpital dans la salle de cours. L’environnement immersif, l’interaction avec des agents virtuels boostés par l’IA, vont induire un sentiment de présence qui permettra d’activer les neurones miroirs, facilitant l’acquisition d’un savoir-faire et d’un savoir-être sans devoir s’entraîner face à un vrai patient. La notion de savoir-être est d’ailleurs ici fondamentale : une projection classique sur écran ne suscitera pas le même niveau d’empathie qu’une immersion dans un environnement simulé. Cela est notamment utile pour par exemple apprendre à annoncer une maladie grave. 

La XR présente-t-elle d’autres intérêts en formation ?

Oui ! Offrant une grande liberté pour la personnalisation des contenus, elle permet aussi de créer des chambres des erreurs à moindre coût, et d’analyser les traces d’apprentissage. Elle facilite aussi la préparation des stages en permettant d’organiser des visites virtuelles préalables, comme nous l’avons fait pour les étudiants en maïeutique. Ou de découvrir des environnements de pointe, par exemple un bloc opératoire ultra high-tech qui serait situé dans une autre ville. Nous avons aussi testé la XR avec succès auprès de lycéens, qui ont ainsi pu découvrir les métiers de la santé. Le poids financier de ces dispositifs dépend de l’approche retenue. Une vidéo à 360° est peu onéreuse mais offre peu d'interactivité. En revanche, une modélisation 3D permet une expérience plus immersive mais coûte plus cher. Il est donc essentiel de bien définir ses objectifs avant de choisir une solution XR.

Qu’en est-il des applications de la XR en milieu de soins ?

Elles se divisent elles-mêmes en deux grandes catégories : celles qui détournent l’attention, et celles qui la recentrent – les deux pouvant s’entremêler. Le détournement de l’attention peut être efficace pour la gestion de la douleur. Par exemple, un environnement froid couplé avec un jeu associant des bonhommes de neige, va libérer de l’endorphine, contribuant à apaiser les grands brûlés. Cette modification du fonctionnement cérébral peut donc faciliter la réalisation des soins de plaies. Dans une optique similaire, la XR peut créer un environnement auditif et visuel comparable à celui des salles Snoezelen, permettant de calmer certains patients en psychiatrie ou en EHPAD. Elle est également utile pour occuper les patients dialysés, « captifs » de séances longues et répétitives. Un simple casque de réalité virtuelle permet ici de leurrer le cerveau. Avant d’évoquer le recentrement de l’attention, je m’attarderais rapidement sur un autre usage, celui de l’anticipation de l’avenir. 

© ILFOMER - Université de Limoges
© ILFOMER - Université de Limoges
Par exemple ?

À Limoges, nous avons développé une visite virtuelle du service de néonatalité, pour préparer les femmes ayant une grossesse pathologique. Nous envisageons un dispositif similaire à destination des enfants en attente d’opération, et des patients devant être transférés en soins palliatifs. L’objectif étant, à chaque fois, de leur permettre de se projeter dans un environnement perçu comme angoissants, pour pouvoir l’aborder plus sereinement.

Et concernant la focalisation de l’attention ?

La XR est très utile pour traiter les phobies, en contrôlant l’exposition progressive aux stimuli anxiogènes. Elle peut aussi intervenir dans le traitement des addictions : grâce à ses effets puissants sur les réseaux neuronaux, ses impacts peuvent aller de la simple prise de conscience, jusqu’à l’induction de nouveaux comportements. Mais nous l’utilisons surtout pour la rééducation et la réadaptation, en projetant les patients dans des environnements stimulants pour améliorer leur mobilité. La XR nous offre la possibilité de créer des environnements complexes, quoique contrôlés et donc sécurisés, et d’y ajouter des défis cognitivo-moteurs pour simuler la vraie vie. Grâce à l’IA, nous pouvons en outre mesurer le delta entre le mouvement attendu et le mouvement réalisé, sans barder la personne de capteurs. 

La XR permet donc, aussi, de développer la rééducation à distance.

Tout à fait ! Nous avons développé TERAPACE (Télé-exercice par la réalité augmentée chez des paralysies cérébrales), un dispositif d’exergaming, ou exercice par le jeu, ayant obtenu le Prix de l’innovation numérique lors des Talents de la e-santé 2023. Conscients que l’on augmente l’adhésion du patient lorsque la rééducation est réalisée sur son lieu de vie, nous travaillons aussi sur un coach virtuel à domicile pour aider les personnes âgées à acquérir des mouvements complexes comme le relevé du sol, et réduire la peur de la chute. Ce projet mobilise la réalité augmentée, mais nous travaillons aussi sur la réalité mixte avec le projet PERACHUTE, permettant pour sa part de diagnostiquer les risques de chutes – il ne s’agit toutefois pas ici d’une application de la XR pour une prise en charge à distance.

En matière de rééducation, la XR peut-elle remplacer l’humain ?

Il faut plutôt réfléchir en termes d’acceptabilité. Celle-ci est par exemple plutôt faible chez les personnes ayant eu un AVC, certainement parce qu’elles sont habituées à la présence d’un thérapeute en réel, et que celle-ci les rassure. À l’inverse, l’adhésion est importante chez les personnes âgées vivant à domicile, qui voient la XR comme une opportunité de disposer d’un coach toujours disponible. La personnalisation permise par l’IA n’est pas étrangère à ce taux d’adhésion, et elle contribuera d’ailleurs à accélérer les usages de la XR.  Un projet comme VIPAD, qui utilise la XR pour stimuler la réminiscence chez les personnes âgées en leur proposant des contenus inspirés de leur parcours de vie, a même créé du lien social, alors qu’on pourrait penser que le casque isole.

Entre la VR, l’AR ou la MR, comment choisir la bonne technologie pour le bon usage ?

C’est justement là le principal point de vigilance. Par exemple, la réalité virtuelle n’est pas idéale pour travailler sur les risques de chute, il vaut mieux utiliser la réalité augmentée ou la réalité mixte. D’où la nécessité de mener une réflexion en amont, pour cadrer l’usage et les objectifs. Il n’existe pas, aujourd’hui, de guide pratique permettant d’accompagner cette réflexion lorsqu’il s’agit de XR appliquée aux soins – contrairement aux applications pédagogiques, auxquelles nous avons consacré un guide pratique. Nous cherchons donc à proposer une classification, en qualifiant les différents types de XR et en caractérisant leurs usages possibles. D’ailleurs, les 25, 26 et 27 juin 2025, l’Université de Limoges organisera à Limoges le premier congrès dédié au développement et à l’utilisation de la XR dans la santé et le sport, ce qui nous permettra d’avancer sur ces travaux et d’initier une diffusion plus large et plus raisonnée de ces technologies.

> Article paru dans Hospitalia #69, édition de mai 2025, à lire ici  
 

Un Colloque « XR en mouvement » à l’Université de Limoges

Les 25, 26 et 27 juin 2025, le laboratoire HAVAE de l’Université de Limoges organise le colloque « XR en Mouvement », un événement d’envergure dédié aux technologies de réalité étendue. Coorganisé avec l’Institut des sciences du mouvement d’Aix-Marseille Université et le laboratoire M2S de l’Université de Rennes 2, ce colloque réunira 200 participants issus de divers horizons : chercheurs en sciences du mouvement, en réadaptation, en psychologie et en neurosciences, professionnels de l’activité physique adaptée, cliniciens, concepteurs de contenus XR, informaticiens ainsi qu’entreprises innovantes des secteurs de la santé et du sport.

L’événement explorera toutes les facettes de l’usage des technologies XR, depuis la recherche fondamentale jusqu’aux applications concrètes en santé, en sport, mais aussi dans les domaines des loisirs et des arts. Les discussions porteront notamment sur l’apport de ces technologies à la compréhension des mécanismes de contrôle du mouvement, les interactions entre cognition, émotion et motricité, ainsi que l’intégration d’outils d’analyse comportementale et de neuro-imagerie fonctionnelle exploitables par l’intelligence artificielle. Enfin, le colloque constituera un espace d’échange privilégié pour aborder les défis et opportunités liés à l’essor des technologies XR.

> Plus d’informations sur https://www.unilim.fr/colloquexr/






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