Pourriez-vous, pour commencer, nous présenter votre rôle au sein de la DGOS ?
Dr Yann-Maël Le Douarin : Je dirige le département Santé et Transformation numérique, créé dans le cadre d’une clarification du portage de certains projets au ministère. Cela a entraîné une réorganisation des fonctions numériques, aboutissant au regroupement des missions numériques au sein de la DNS. C’est dans ce contexte qu’a été constitué notre département, avec pour objectif principal d’assurer l’interface avec les actions conduites par la Délégation au numérique en santé (DNS) qui pilote la stratégie nationale. Concrètement, notre mission consiste à anticiper et accompagner les transformations de l’offre de soins induites par la transition numérique, notamment en ce qui concerne les évolutions des pratiques professionnelles et les enjeux déontologiques qui en découlent. À ce titre, la télésanté fait pleinement partie de notre périmètre, car elle relève de l’exercice soignant. Notre rôle est donc de coordonner, renforcer et valoriser les effets du numérique en santé sur les pratiques et l’offre de soins, tout en engageant une réflexion prospective pour anticiper les mutations à venir.
Quelle est la vision globale de la DGOS sur cette transition numérique ?
Celle-ci constitue, à notre sens, une formidable opportunité d’accélérer l’adaptation de l’offre de soins, dans un contexte où notre système de santé est confronté à de nombreux défis : vieillissement de la population, tensions croissantes sur la démographie des professionnels de santé, intégration rapide des innovations, évolution de la relation soignant-soigné, contraintes budgétaires, etc. S’il tient ses promesses, le numérique peut s’imposer comme un réel levier de transformation, d’autant plus avec l’arrivée de l’intelligence artificielle (IA).
Qu’entendez-vous par là ?
Pendant longtemps, le numérique consistait en la digitalisation de processus existants. Aujourd’hui, l’IA permet d’en imaginer de nouveaux, qui modifieront en profondeur les modalités de travail et de prise en charge. Mais elle soulève également de nombreuses questions. À quel rythme va-t-elle se diffuser ? Quels leviers activer pour accompagner son déploiement ? Quels freins devons-nous lever ? Et surtout, quelles seront les conséquences concrètes sur les pratiques professionnelles ? Ces questions ne trouvent pas de réponses simples, car les usages se construisent en temps réel. C’est pourquoi il est impératif d’agir dès maintenant, sans attendre une maturité totale de la technologie. Nous devons collectivement construire une intelligence artificielle en santé souveraine, alignée avec nos valeurs. Cela suppose une mobilisation conjointe des pouvoirs publics, des professionnels de santé, des patients, mais aussi des citoyens. Face à la vitesse à laquelle évolue la technologie, l’inaction créerait un risque de perte de contrôle, tant vis-à-vis des usages issus du grand public que des dynamiques internationales.
Dans cette perspective, la coordination étroite avec la DNS est donc essentielle…
En effet, cette coordination nous permet d’aligner nos actions sur la feuille de route du numérique en santé, afin d’anticiper au mieux les transformations à venir. Mais notre démarche va bien au-delà : la transition numérique ne se limite pas à un enjeu technologique ou organisationnel. Elle touche à de nombreux champs connexes comme la recherche, la formation, le financement, le droit, ou encore l’évolution des métiers. C’est pourquoi, avec la DNS, nous travaillons de manière étroite avec l’ensemble des acteurs de l’écosystème. Nous collaborons notamment avec l’Agence de l’innovation en santé (AIS), la Caisse nationale de l’Assurance maladie (CNAM), les équipes en charge des expérimentations de l’Article 51 au sein des Agences régionales de santé (ARS), ainsi qu’avec plusieurs bureaux métiers du ministère de la Santé. Cette approche transversale est indispensable : il nous faut dialoguer avec tous les niveaux du système de santé pour assurer une transformation cohérente et partagée. Les usagers ne sont bien sûr pas en reste. Nous pouvons ici capitaliser sur les comités citoyens constitués à l’occasion des concertations menées autour de la feuille de route du numérique en santé.
Comment accompagnez-vous concrètement ces nouvelles dynamiques ?
La DGOS n’a pas pour mission de piloter directement la transformation numérique, ni de dicter un modèle unique. Notre rôle n’est pas d’imposer, mais d’orienter, d’accompagner. Et pour accompagner efficacement les évolutions en cours, il est essentiel d’identifier les dynamiques pertinentes, de cibler les innovations prometteuses, de soutenir les initiatives émergentes et d’apporter un cadre lorsqu’il est nécessaire. C’est tout le sens de la « Cartographie des usages numériques dans l’offre de soins », publiée ce printemps pour donner une vision claire des usages existants et des perspectives à venir, afin d’éclairer les décisions des acteurs du système de santé. Car notre rôle ne consiste pas seulement à accompagner les transformations en cours, mais aussi à alerter sur les dérives possibles ou à freiner certains usages lorsque ceux-ci risquent de dénaturer la pratique médicale ou d’aller à l’encontre des principes déontologiques, par exemple.
Le virage numérique induit parfois des résistances. Comment les aborder et les dépasser ?
Les résistances font partie intégrante de toute transformation : elles sont naturelles dès lors qu’un changement vient bousculer des repères établis. Cela dit, en ce qui concerne l’intelligence artificielle, je ne constate pas de réticence majeure sur le terrain. Au contraire, les professionnels de santé semblent lucides sur le caractère inévitable de cette révolution et sur le potentiel concret qu’elle représente pour améliorer les pratiques et les prises en charge. Ils savent également que l’inaction pourrait ouvrir la voie à une appropriation des usages numériques par des acteurs extérieurs à notre système,notamment les GAFAM, avec le risque de voir émerger des modèles en décalage avec nos valeurs et exigences. Il existe donc aujourd’hui une véritable volonté de s’emparer de ces enjeux et de construire un cadre d’usage adapté. C’est précisément dans ce cadre que s’inscrit le rôle de la DGOS : contribuer, avec la DNS, à faire émerger une vision commune des possibles, à travers un langage et des repères partagés.
Vous avez d’ailleurs déjà mené des actions en ce sens…
Nous avons en effet participé à l’élaboration de l’« État des lieux de l’intelligence artificielle en santé en France », publié par le ministère de la Santé en février dernier. Pour aller plus loin, la DGOS, avec l’appui de l’Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale (ANAP), a lancé début juillet deux appels à manifestation d’intérêt (AMI), pour financer et évaluer l’expérimentation de solutions d’IA déjà matures, d’une part dans les SAMU et services d’urgence, et d’autre part pour optimiser la gestion du temps de travail dans les établissements de santé.
Comment vous positionnez-vous par rapport à la stratégie nationale « Intelligence artificielle et données de santé 2025-2028 », dévoilée officiellement le 1er juillet 2025 ?
Nous avons co-piloté, avec la DNS, les travaux de mise en place de la concertation publique de cette stratégie. Nous sommes, naturellement, pleinement engagés dans sa mise en œuvre, et veillerons à accompagner les professionnels de santé dans les territoires, mais aussi à former nos propres équipes, car elles joueront un rôle clé dans la diffusion, l’appropriation et l’encadrement de ces outils. Aujourd’hui, l’IA reste trop souvent réservée à un cercle d’experts. Or, pour qu’elle soit un réel levier de transformation, elle doit devenir un outil démocratique. Cela suppose que tous les acteurs du système, professionnels, patients et administrations, puissent en comprendre les usages, les bénéfices et les limites. C’est à cette condition qu’elle pourra s’implanter à grande échelle.
Quels seront, à votre sens, les autres défis à relever dans les années à venir ?
Au-delà des enjeux de souveraineté – qu’il s’agisse des technologies elles-mêmes ou des données de santé – l’un des défis majeurs portera sur les modalités d’intégration de l’innovation dans notre système de santé. L’accélération continue des innovations, en particulier numériques, nous impose de repenser nos méthodes de travail : nous disposons de moins en moins de temps pour analyser, cadrer, décider… avec le risque réel de nous retrouver en décalage. Le ministère en a pleinement conscience. C’est précisément dans cet esprit qu’ont été mis en place des dispositifs comme l’Article 51, les tiers-lieux d’expérimentation, ou encore les appels à projets du plan France 2030. Ces outils traduisent une volonté de la puissance publique d’introduire davantage de souplesse dans le pilotage de l’innovation, quitte à adapter les textes réglementaires en cours de route, comme cela a été fait récemment pour la télésurveillance. Cette capacité à ajuster les cadres au fil de l’expérimentation est devenue indispensable.
Le mot de la fin ?
Le numérique en santé, et particulièrement l’IA, ont apporté dans leur sillage un changement de paradigme. Nous devons apprendre à avancer progressivement, brique par brique, tout en acceptant une part d’incertitude : personne aujourd’hui ne peut dire avec certitude à quoi ressemblera l’intelligence artificielle dans cinq ans, ni dans ses capacités, ni dans ses usages. Mais cette incertitude ne doit pas nous paralyser. Ce qui importe, c’est de disposer d’un socle commun, à la fois éthique et technique, suffisamment robuste pour accueillir les usages à venir. La transparence, la sécurité, la soutenabilité environnementale, l’équité d’accès seront autant de piliers, de fondamentaux stratégiques, sur lesquels nous pourrons construire durablement, au service du système de santé et de ses usagers.
> Article paru dans Hospitalia #70, édition de septembre 2025, à lire ici
Dr Yann-Maël Le Douarin : Je dirige le département Santé et Transformation numérique, créé dans le cadre d’une clarification du portage de certains projets au ministère. Cela a entraîné une réorganisation des fonctions numériques, aboutissant au regroupement des missions numériques au sein de la DNS. C’est dans ce contexte qu’a été constitué notre département, avec pour objectif principal d’assurer l’interface avec les actions conduites par la Délégation au numérique en santé (DNS) qui pilote la stratégie nationale. Concrètement, notre mission consiste à anticiper et accompagner les transformations de l’offre de soins induites par la transition numérique, notamment en ce qui concerne les évolutions des pratiques professionnelles et les enjeux déontologiques qui en découlent. À ce titre, la télésanté fait pleinement partie de notre périmètre, car elle relève de l’exercice soignant. Notre rôle est donc de coordonner, renforcer et valoriser les effets du numérique en santé sur les pratiques et l’offre de soins, tout en engageant une réflexion prospective pour anticiper les mutations à venir.
Quelle est la vision globale de la DGOS sur cette transition numérique ?
Celle-ci constitue, à notre sens, une formidable opportunité d’accélérer l’adaptation de l’offre de soins, dans un contexte où notre système de santé est confronté à de nombreux défis : vieillissement de la population, tensions croissantes sur la démographie des professionnels de santé, intégration rapide des innovations, évolution de la relation soignant-soigné, contraintes budgétaires, etc. S’il tient ses promesses, le numérique peut s’imposer comme un réel levier de transformation, d’autant plus avec l’arrivée de l’intelligence artificielle (IA).
Qu’entendez-vous par là ?
Pendant longtemps, le numérique consistait en la digitalisation de processus existants. Aujourd’hui, l’IA permet d’en imaginer de nouveaux, qui modifieront en profondeur les modalités de travail et de prise en charge. Mais elle soulève également de nombreuses questions. À quel rythme va-t-elle se diffuser ? Quels leviers activer pour accompagner son déploiement ? Quels freins devons-nous lever ? Et surtout, quelles seront les conséquences concrètes sur les pratiques professionnelles ? Ces questions ne trouvent pas de réponses simples, car les usages se construisent en temps réel. C’est pourquoi il est impératif d’agir dès maintenant, sans attendre une maturité totale de la technologie. Nous devons collectivement construire une intelligence artificielle en santé souveraine, alignée avec nos valeurs. Cela suppose une mobilisation conjointe des pouvoirs publics, des professionnels de santé, des patients, mais aussi des citoyens. Face à la vitesse à laquelle évolue la technologie, l’inaction créerait un risque de perte de contrôle, tant vis-à-vis des usages issus du grand public que des dynamiques internationales.
Dans cette perspective, la coordination étroite avec la DNS est donc essentielle…
En effet, cette coordination nous permet d’aligner nos actions sur la feuille de route du numérique en santé, afin d’anticiper au mieux les transformations à venir. Mais notre démarche va bien au-delà : la transition numérique ne se limite pas à un enjeu technologique ou organisationnel. Elle touche à de nombreux champs connexes comme la recherche, la formation, le financement, le droit, ou encore l’évolution des métiers. C’est pourquoi, avec la DNS, nous travaillons de manière étroite avec l’ensemble des acteurs de l’écosystème. Nous collaborons notamment avec l’Agence de l’innovation en santé (AIS), la Caisse nationale de l’Assurance maladie (CNAM), les équipes en charge des expérimentations de l’Article 51 au sein des Agences régionales de santé (ARS), ainsi qu’avec plusieurs bureaux métiers du ministère de la Santé. Cette approche transversale est indispensable : il nous faut dialoguer avec tous les niveaux du système de santé pour assurer une transformation cohérente et partagée. Les usagers ne sont bien sûr pas en reste. Nous pouvons ici capitaliser sur les comités citoyens constitués à l’occasion des concertations menées autour de la feuille de route du numérique en santé.
Comment accompagnez-vous concrètement ces nouvelles dynamiques ?
La DGOS n’a pas pour mission de piloter directement la transformation numérique, ni de dicter un modèle unique. Notre rôle n’est pas d’imposer, mais d’orienter, d’accompagner. Et pour accompagner efficacement les évolutions en cours, il est essentiel d’identifier les dynamiques pertinentes, de cibler les innovations prometteuses, de soutenir les initiatives émergentes et d’apporter un cadre lorsqu’il est nécessaire. C’est tout le sens de la « Cartographie des usages numériques dans l’offre de soins », publiée ce printemps pour donner une vision claire des usages existants et des perspectives à venir, afin d’éclairer les décisions des acteurs du système de santé. Car notre rôle ne consiste pas seulement à accompagner les transformations en cours, mais aussi à alerter sur les dérives possibles ou à freiner certains usages lorsque ceux-ci risquent de dénaturer la pratique médicale ou d’aller à l’encontre des principes déontologiques, par exemple.
Le virage numérique induit parfois des résistances. Comment les aborder et les dépasser ?
Les résistances font partie intégrante de toute transformation : elles sont naturelles dès lors qu’un changement vient bousculer des repères établis. Cela dit, en ce qui concerne l’intelligence artificielle, je ne constate pas de réticence majeure sur le terrain. Au contraire, les professionnels de santé semblent lucides sur le caractère inévitable de cette révolution et sur le potentiel concret qu’elle représente pour améliorer les pratiques et les prises en charge. Ils savent également que l’inaction pourrait ouvrir la voie à une appropriation des usages numériques par des acteurs extérieurs à notre système,notamment les GAFAM, avec le risque de voir émerger des modèles en décalage avec nos valeurs et exigences. Il existe donc aujourd’hui une véritable volonté de s’emparer de ces enjeux et de construire un cadre d’usage adapté. C’est précisément dans ce cadre que s’inscrit le rôle de la DGOS : contribuer, avec la DNS, à faire émerger une vision commune des possibles, à travers un langage et des repères partagés.
Vous avez d’ailleurs déjà mené des actions en ce sens…
Nous avons en effet participé à l’élaboration de l’« État des lieux de l’intelligence artificielle en santé en France », publié par le ministère de la Santé en février dernier. Pour aller plus loin, la DGOS, avec l’appui de l’Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale (ANAP), a lancé début juillet deux appels à manifestation d’intérêt (AMI), pour financer et évaluer l’expérimentation de solutions d’IA déjà matures, d’une part dans les SAMU et services d’urgence, et d’autre part pour optimiser la gestion du temps de travail dans les établissements de santé.
Comment vous positionnez-vous par rapport à la stratégie nationale « Intelligence artificielle et données de santé 2025-2028 », dévoilée officiellement le 1er juillet 2025 ?
Nous avons co-piloté, avec la DNS, les travaux de mise en place de la concertation publique de cette stratégie. Nous sommes, naturellement, pleinement engagés dans sa mise en œuvre, et veillerons à accompagner les professionnels de santé dans les territoires, mais aussi à former nos propres équipes, car elles joueront un rôle clé dans la diffusion, l’appropriation et l’encadrement de ces outils. Aujourd’hui, l’IA reste trop souvent réservée à un cercle d’experts. Or, pour qu’elle soit un réel levier de transformation, elle doit devenir un outil démocratique. Cela suppose que tous les acteurs du système, professionnels, patients et administrations, puissent en comprendre les usages, les bénéfices et les limites. C’est à cette condition qu’elle pourra s’implanter à grande échelle.
Quels seront, à votre sens, les autres défis à relever dans les années à venir ?
Au-delà des enjeux de souveraineté – qu’il s’agisse des technologies elles-mêmes ou des données de santé – l’un des défis majeurs portera sur les modalités d’intégration de l’innovation dans notre système de santé. L’accélération continue des innovations, en particulier numériques, nous impose de repenser nos méthodes de travail : nous disposons de moins en moins de temps pour analyser, cadrer, décider… avec le risque réel de nous retrouver en décalage. Le ministère en a pleinement conscience. C’est précisément dans cet esprit qu’ont été mis en place des dispositifs comme l’Article 51, les tiers-lieux d’expérimentation, ou encore les appels à projets du plan France 2030. Ces outils traduisent une volonté de la puissance publique d’introduire davantage de souplesse dans le pilotage de l’innovation, quitte à adapter les textes réglementaires en cours de route, comme cela a été fait récemment pour la télésurveillance. Cette capacité à ajuster les cadres au fil de l’expérimentation est devenue indispensable.
Le mot de la fin ?
Le numérique en santé, et particulièrement l’IA, ont apporté dans leur sillage un changement de paradigme. Nous devons apprendre à avancer progressivement, brique par brique, tout en acceptant une part d’incertitude : personne aujourd’hui ne peut dire avec certitude à quoi ressemblera l’intelligence artificielle dans cinq ans, ni dans ses capacités, ni dans ses usages. Mais cette incertitude ne doit pas nous paralyser. Ce qui importe, c’est de disposer d’un socle commun, à la fois éthique et technique, suffisamment robuste pour accueillir les usages à venir. La transparence, la sécurité, la soutenabilité environnementale, l’équité d’accès seront autant de piliers, de fondamentaux stratégiques, sur lesquels nous pourrons construire durablement, au service du système de santé et de ses usagers.
> Article paru dans Hospitalia #70, édition de septembre 2025, à lire ici