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Le Dr Anne Gervais, membre du Collectif Inter-Hôpitaux : « il n’y aura pas de retour à l’anormal »


Rédigé par Admin le Mardi 30 Juin 2020 à 10:10 | Lu 2969 fois


Membre du Collectif Inter-Hôpitaux (CIH), le Docteur Anne Gervais exerce à temps partagé entre le Service d’Hépato-Gastroentérologie de l’hôpital Louis-Mourier, situé à Colombes dans les Hauts-de-Seine, et le Service des Maladies Infectieuses de l’hôpital Bichat Claude-Bernard, deux établissements de l’AP-HP. Rencontre.



Le Dr Anne Gervais, membre du Collectif Inter-Hôpitaux : « il n’y aura pas de retour à l’anormal »

Le Collectif Inter-Hôpitaux a vu le jour il y a moins d’un an. Pouvez-vous nous retracer son histoire ?
Dr Anne Gervais : Les racines du CIH remontent à janvier 2018, lorsque 1 300 médecins et cadres de santé de l’AP-HP alertaient – déjà – sur la crise à l’hôpital dans une tribune commune. Les personnels des Hôpitaux de Paris se sont ensuite fortement mobilisés en février 2019, au cours du « Grand débat national » lancé par le Président de la République : nous avons organisé sept débats réunissant hospitaliers et usagers à l’AP-HP. En mars, des infirmiers et aides-soignants exerçant aux urgences de l’hôpital Saint-Antoine lancent une grève illimitée qui essaime rapidement partout en France et donne naissance au Collectif Inter-Urgences. Les mesures annoncées par la suite par les pouvoirs publics, notamment le « Pacte de refondation des urgences » en septembre, étaient dérisoires. 
 

C’est alors qu’est né le Collectif Inter-Hôpitaux.
À notre grande surprise, l’assemblée générale organisée le 10 octobre à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière a réuni plus de 500 personnes, dont 300 médecins sur les 6 000 titulaires que compte l’AP-HP. Nos demandes ? Une revalorisation des personnels, des lits et des effectifs en nombre suffisant, un ONDAM corrélé aux besoins de santé réels, et une refonte de la gouvernance avec les soignants et les soignés. Parti de Paris, le mouvement s’est diffusé au reste de la France, car les problématiques sont les mêmes partout.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le Ségur de la Santé ?
Lorsque j’étais vice-présidente de la Commission Médicale d’Établissement (CME) de l’AP-HP, j’ai pu surtout me rendre compte que les maux de l’hôpital public ne seront véritablement résolus qu’en repensant l’organisation des soins dans leur ensemble. Outre ses missions habituelles, l’hôpital public fait aujourd’hui tout ce que les autres ne font pas. Il faut associer tous les professionnels de santé. Lancer un « Ségur de la santé » plutôt qu’un « Ségur de l’hôpital public » est donc pertinent. Mais tous ne sont pas à égalité, seuls certains participent pleinement au service public en étant accessibles à tous : 24h sur 24, quelles que soient les pathologies, sans restriction financière. 
 

Dans quelle mesure le Collectif Inter-Hôpitaux s’associe-t-il aujourd’hui aux réflexions ?
Nous contribuons aux quatre grands chantiers en discussion : le financement, la territorialisation, les carrières et la gouvernance. Mais, alors que les consultations sont prévues sur huit semaines, et que nous en sommes déjà à plus de la moitié, plusieurs points nous inquiètent et nourrissent nos doutes sur la volonté réelle du gouvernement de voir le Ségur aboutir – manque de transparence dans la conduite des concertations, méthodologie problématique, et surtout absence de données chiffrées sur les revalorisations salariales prévues, ce qui a déjà conduit le syndicat SUD à claquer la porte des négociations. Il est vrai qu’une augmentation de 300 euros par mois pour les professionnels hospitaliers représenterait plusieurs milliards, par rapport à une enveloppe totale de 82 milliards d’euros prévue dans l’ONDAM pour les établissements de santé. Et d’ailleurs, quelques milliards d’euros ne font pas le poids face aux 300 milliards destinés aux entreprises, aux 18 milliards pour l’automobile ou l’aéronautique, …

Comment vous positionnez-vous par rapport à vos autres demandes ?
Sur la question des effectifs, nous nous sommes bien rendu compte, durant la crise du Covid-19, de l’inadéquation des recommandations nationales par rapport aux besoins réels. L’ANAP préconise ainsi 1 infirmier pour 14 patients – 1 pour 12 à Paris – là où les pays scandinaves ou anglo-saxons recommandent un ratio de 1 pour 6 voire 1 pour 8. La situation dans nos hôpitaux se traduit par une explosion de la charge de travail des soignants, qui réduisent leur temps d’échange avec les patients comme entre soignants. Il est donc primordial d’augmenter les effectifs et de les rémunérer correctement. En ce qui concerne les lits, nous nous opposons à la position dogmatique des tutelles, qui décident par exemple de fermer des lits parce qu’une réduction de 30 % est prévue dans le COPERMO. Cela n’a aucun sens : les lits doivent être positionnés là où ils sont nécessaires. Renversons une fois pour toute le processus et identifions les besoins de chaque territoire avant de définir l’ONDAM !

Le mot de la fin ?
Sans préjuger de ce qui en ressortira, le Ségur de la santé est à mon sens quelque peu paradoxal, puisqu’il est à la fois trop long et pas assez. Trop long parce que certaines annonces, comme la revalorisation salariale ou le moratoire sur la fermeture des lits, auraient dû être effectuées immédiatement, ce qui aurait contribué à donner confiance dans le processus. Et pas assez long parce que les chantiers touchant à la réorganisation-même du système de santé, comme les liens ville-hôpital ou la gouvernance, imposent des réformes structurelles qui ne peuvent être pensées d’ici la mi-juillet. Par ailleurs, malgré la prise de conscience de nos concitoyens sur le sous-équipement chronique des hôpitaux publics, le gouvernement commence déjà à alerter sur le déficit de la Sécurité Sociale, sur la récession à venir,… Nous entendons cette petite musique monter et avons bien peur que ce Ségur ne soit qu’une grand-messe cathartique, des mots qui ne seront suivis d’aucune action concrète, comme nous en avions déjà connu par le passé. Nous ne l’accepterons pas. Nous n’accepterons pas que les malades non-Covid ne bénéficient pas des mêmes moyens que les malades Covid. Il n’y aura pas de retour à l’anormal.
 

Article publié sur le numéro de juin d'Hospitalia à consulter ici : https://www.hospitalia.fr/Hospitalia-49-Special-Covid-19-MERCI-_a2230.html


 






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