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Pharmacie

New Deal et régulation du médicament: les objectifs ambitieux de la «Mission régulation des produits de santé»


Rédigé par Me Ghislaine ISSENHUTH et Me Olivier SAMYN, Associés, LMT Avocats le Lundi 6 Novembre 2023 à 11:05 | Lu 952 fois


Dans son discours prononcé le 13 juin 2023 depuis l’usine Aguettant en Ardèche, le Président de la République Emmanuel Macron évoquait à plusieurs reprises la question du juste prix des médicaments, et présentait la souveraineté sanitaire comme un objectif majeur, à l’heure où l’innovation apparaît comme un enjeu croissant et où le risque de pénurie alimente régulièrement le débat public.



Ces préoccupations sont également au cœur du rapport rendu le 29 août 2023 par la mission « régulation des produits de santé », composée d’Agnès Audier, Claire Biot, Frédéric Collet, Anne-Aurélie Epis de Fleurian, Magali Leo et Mathilde Lignot Leloup. En effet, des tensions majeures ayant émergé durant l’élaboration de la LFSS 2023, la Première ministre Élisabeth Borne a, par une lettre de mission du 17 janvier 2023, demandé au groupe de travail de dresser un bilan des leviers de régulation économiques existants en matière d’accès au marché des produits de santé et de proposer une évolution de ces modalités de régulation et de financement, en prenant en compte les enjeux majeurs d’accès aux produits innovants, de lutte contre les pénuries, de soutenabilité des dépenses, ou encore de souveraineté sanitaire.

Dans son rapport intitulé « Pour un ”New Deal” garantissant un accès égal et durable des patients à tous les produits de santé », la mission souligne les difficultés du système de régulation qui ont été accentuées par la crise sanitaire, et les enjeux actuels qui dominent le sujet : accès aux médicaments innovants, financement des produits de santé, tension entre les différents acteurs, questions environnementales… 

En réponse à ces problématiques, elle dresse une série de recommandations, relatives notamment aux enjeux environnementaux, aux prescriptions et choix thérapeutiques ou encore aux marges financières pouvant être dégagées. Parmi celles-ci, deux thématiques sont plus particulièrement susceptibles d’intéresser les industriels : la question de l’évaluation et de la fixation des prix des produits de santé, ainsi que la nécessité d’apporter des solutions à des problèmes règlementaires spécifiques.  

Accès au marché des produits de santé

Constatant les importantes évolutions médicales, technologiques et économiques, ainsi que la diversification des produits de santé, la mission dresse une série de recommandations ayant pour objet d’améliorer les processus d’évaluation des produits de santé et de fixation des prix.

Évaluation des produits de santé

La mission constate la complexité du dispositif actuel de fixation du prix et de prise en charge par l’assurance maladie, qu’elle propose de réformer en retravaillant les catégories de produits, en rendant plus lisibles les différentes procédures d’accès précoce, en intégrant les dispositifs médicaux numériques (DMN) dans les négociations de prix avec le Comité économique des produits de santé (CEPS). S’agissant plus particulièrement des dispositifs médicaux (DM), elle invite les administrations concernées à proposer, avant fin 2023, une refonte des différents mécanismes d’accès dérogatoires et précoces afin de les rendre plus lisibles et d’accélérer les délais. 

Elle propose également de revoir le fonctionnement de la liste en sus compte tenu de son augmentation croissante, afin notamment d’en redéfinir les critères d’inscription et de radiation, et recommande à cette fin la mise en place d’un groupe de travail avec les administrations, associations de patients et industriels concernés. Dans une logique similaire, elle propose la mise en place d’un groupe de travail afin de repenser le référentiel des actes innovants hors nomenclature de biologie et d’anatomopathologie (RIHN) et d’en redéfinir les règles d’inscription et de radiation. 

S’agissant des critères d’évaluation et de fixation des prix, elle constate un usage insuffisant de l’évaluation médico-économique (EME) par le CEPS, une prise en compte imparfaite de la qualité de vie du patient dans l’évaluation clinique par les commissions d’évaluation de la Haute Autorité de Santé (HAS), particulièrement pour les dispositifs médicaux à usage numérique (DMN), et recommande d’étendre le critère de l’impact organisationnel à l’évaluation de l’ASMR des médicaments (ce critère étant actuellement exclusivement dédié à l’évaluation des DM). Afin de mener cette réflexion, elle invite à la mise en place d’un groupe de travail composé des différents acteurs du secteur, dont les conclusions devront être rendues au plus tard le 1er février 2024. 

S’agissant des DM financés en dehors de la liste des produits et prestations remboursables (LPPR), en lien avec des actes médicaux, la mission recommande de prévoir au sein du PLFSS pour 2024 la possibilité pour les industriels de déposer un dossier de demande d’acte, en encadrant les délais de traitement par la HAS, afin de faire face à une situation actuelle de blocage de l’arrivée de certains DM sur le marché du fait de l’absence d’inscription des actes associés.

La mission constate également, à l’égard de médicaments très innovants en accès de précoce, que le délai restreint imposé pour le dépôt des demandes de remboursement d’un mois contraint certains laboratoires à adresser leurs demandes malgré des données insuffisamment matures, risquant, partant, de voir la Commission de la Transparence leur attribuer une ASMR V. Elle invite donc à intégrer, au sein du PLFSS pour 2024, le recours à des personnels externes à l’hôpital et rémunérés par les industriels pour aider au recueil des données des accès précoces, et la possibilité pour la HAS de décaler le dépôt du dossier en fonction de la maturité des données. 

D’autres recommandations peuvent également être évoquées, parmi lesquelles l’invitation à renforcer la place des cliniciens dans les procédures d’accès au marché, ou encore la création d’un dispositif d’évocation des décisions de la commission transparence auprès du Collège de la HAS.

Modalités et critères de fixation des prix 

La mission invite les pouvoirs publics à conforter la politique conventionnelle des produits de santé. Elle propose à cette fin une nouvelle lettre d’orientation ministérielle en ce sens avant fin janvier 2024, ainsi que la signature d’un accord-cadre sur les DM avec le SNITEM dès septembre 2023 et la mise en place d’un dialogue avec le LEEM et le SNITEM dès septembre sur la question de la politique conventionnelle, pour aboutir à des recommandations en janvier 2024. Le groupe recommande en outre que le CEPS soit autorisé à négocier des remises mutualisées pour certains groupes de médicaments, en privilégiant la voie conventionnelle. Sur le plan européen, et à titre d’expérimentation, la mission propose également la mise en place d’une négociation commune de prix entre plusieurs pays, afin de convenir de prix compétitifs tout assurant les conditions économiques de l’approvisionnement des marchés, et recommande qu’une liste de médicaments et pays partenaires soit proposée d’ici le 1er février 2024.

Tout en soulignant les limites d’un tel système, la mission envisage la possibilité de mener une expertise sur un éventuel développement de capacités « à but non lucratif » voire publiques de production pour certains médicaments de thérapies innovantes à titre transitoire, afin notamment de permettre une meilleure maîtrise des coûts et conditions de production.  

Le groupe de travail recommande également de modifier le mécanisme de la clause de sauvegarde des DM en y intégrant une proportionnalité des montants récupérés en cas de dépassement, ainsi que des abattements individuels négociés avec le CEPS. 

Le rapport envisage enfin une éventuelle prise en compte par le CEPS, à partir de 2025, des coûts de production et des coûts de recherche et développement dans la fixation du prix pour les médicaments particulièrement coûteux. La mesure n’est toutefois pas consensuelle, le groupe soulignant la difficulté à connaître les coûts réels de recherche et de développement.

Identification de problèmes règlementaires spécifiques

La mission fait le constat d’un environnement règlementaire extrêmement dense et complexe. Elle propose donc notamment, pour pallier la problématique du difficile accès aux innovations en matière de spécialités pharmaceutiques psychiatriques, de travailler à la construction d’une liste sur le même modèle que celui de la liste en sus, qui permettrait l’acquisition de molécules onéreuses. 

Elle invite également à la création d’un groupe de travail pour analyser le dispositif de « paiement à la performance » pour les médicaments de thérapie innovante, instauré par l’article 54 de la LFSS pour 2023, et attire l’attention sur la dimension « cas par cas » prédominante dans la gestion des dossiers concernés par ce mécanisme, point qui mérite en effet d’être traité rapidement eu égard aux enjeux en présence. 
S’agissant des prestations de service à domicile (PSDM) inscrites sur la LPPR, la mission souligne la complexité actuelle des nomenclatures ainsi que l’évolution du fait du développement des DMN, et recommande de monter un travail spécifique avec les différents acteurs concernés pour clarifier le dispositif dans une logique de maîtrise des coûts.  

Enfin, le groupe de travail constate une augmentation importante des exportations de spécialités, alors que des pénuries se multiplient. Il propose en conséquence d’étendre, pour les produits à risque de pénurie, l’interdiction d’exportation parallèle aux distributeurs en gros à l'exportation (DGE), dans une logique similaire à l'interdiction actuelle d’exportation des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) en rupture ou risque de rupture applicable aux grossistes-répartiteurs.

En conclusion

Le PLFSS 2024 comme les travaux menés par les différents groupes constitués à la suite de ce rapport seront l’occasion de voir si les recommandations émises par la mission constituent les fondements d’un New Deal permettant de rebâtir en profondeur la régulation et le financement du médicament, que la mission appelle de ses vœux.  
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