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Le métavers au service de la santé de demain : quelles espérances et vigilances éthiques ?


Rédigé par Jérôme Béranger, Dr Cécile Monteil, Emma Tahon le Lundi 20 Février 2023 à 12:11 | Lu 1520 fois


Aujourd’hui, la médecine est devenue presque inconcevable sans l’utilisation des données personnelles numérisées. Cette dynamique continue de s’accélérer avec l’arrivée du métavers. Considéré par certains comme la prochaine révolution technologique sur laquelle s’écrira l’avenir de la médecine, tandis que d’autres n’y voient que fantasme, utopie et illusion spéculative, il ne laisse personne indifférent.




Le métavers, une continuité plus qu’une rupture technologique

Le terme métavers – résultant de la contraction du mot grec « Méta » (au-delà ou après) et du mot anglais « Universe » (univers) – est défini comme étant un monde virtuel collaboratif et immersif, un espace connecté à Internet dans lequel des personnes interagissent via leur avatar, ou en utilisant des objets connectés. Il serait donc plus juste de considérer le métavers non comme une nouvelle technologie à part entière, mais plutôt comme un nouvel écosystème digital interconnecté et persistant, concentrant toute une série d’applications technologiques immersives comme la réalité virtuelle et augmentée, la Blockchain, les systèmes d’IA, la 3D, les capteurs et objets numériques, les jeux vidéo et les réseaux sociaux. Dans ces conditions, il est plus pertinent de l’appréhender comme une continuité, une articulation voire une convergence de ces technologies, où réalité simulée et réalité actuelle se côtoient pour permettre de voyager entre un monde physique amélioré et un monde numérique sans limites apparentes.

Quels défis et freins socio-technologiques ?

Un enjeu majeur serait néanmoins d’éviter que cette convergence technologique appliquée au monde médical n’entraîne une fracture numérique supplémentaire, en favorisant une nouvelle modalité d’accès aux soins dont bénéficieraient uniquement les personnes socialement privilégiées. Par ailleurs, un certain nombre de personnes restent dubitatives, voire réticentes, envers le développement concret du métavers médical, en grande partie pour des raisons de faisabilité et d’applicabilité technologiques, notamment sur le plan de l’interopérabilité. Parmi les autres obstacles ou limites technologiques pouvant être identifiés, citons notamment les capacités de calcul et de stockage, les coûts d’achat et de développement des dispositifs employés, la disponibilité d’un réseau et d’une connexion Internet à très haut débit de type 5G, la miniaturisation des routeurs, la précision et la qualité des images, ou encore le manque croissant de composants essentiels tels que les cartes graphiques. Enfin, de nombreux professionnels de santé restent sceptiques quant à l’intérêt du métavers pour le soin, considérant qu’une « vraie médecine » ne peut se faire sans des interactions et des échanges avec de « vrais visages » et de « vrais corps » dans la relation médecin-patient.

Une multiplication des cas d’usage et des conséquences pour l’exercice de la médecine

Permettant l’ouverture sur un monde complexe au fonctionnement codifié, le métavers médical pourrait favoriser le virage numérique de la médecine. Néanmoins, et comme évoqué plus haut, pour qu’elles soient véritablement efficaces, les téléconsultations immersives de nouvelle génération devront continuer à retranscrire au minimum les images en temps réel des « vrais » corps et visage du patient, et non uniquement celles de son avatar. Les applications directes de la médecine n’en risquent pas moins d’être sensiblement modifiées. En chirurgie, par exemple, le métavers pourrait faciliter les collaborations internationales en offrant une représentation précise et détaillée de la zone à opérer, pour des procédures médicales plus fiables et plus rapides. Sur le plan thérapeutique, il pourrait devenir un socle de simulation à grande échelle, en facilitant l’accès à des patients virtuels à travers lesquels seront traités plusieurs ensembles de données par des applications d’IA, pour par exemple visualiser l'impact d'un traitement ou d’un acte médical. Pour les patients, cette réalité virtuelle permettrait en outre de mettre en œuvre une aire thérapeutique interactive, offrant une expérience réaliste en matière d’analgésie, de gestion de la douleur, de « sport-santé », de rééducation de pointe, ou encore de médecine psychologique. Il serait alors possible d’imaginer, à moyen terme, la création de réels parcours de soins virtuels, complètement réinventés dans ce nouvel univers dématérialisé.
 
Sur un autre registre, des médecins se retrouvent déjà en réalité augmentée pour échanger sur un cas spécifique ou concevoir par exemple une prothèse adaptée. L’idéation thérapeutique, la création collective, les synergies avec notamment les MedTech, s’en trouveraient alors facilitées, pour freiner les surcharges de l’hôpital physique tout en améliorant la qualité des protocoles et des soins – sous réserve de les inscrire dans un cadre règlementaire adéquat. Le métavers médical pourrait en outre jouer un rôle non négligeable dans le perfectionnement de la formation des praticiens via la réalité augmentée et virtuelle. Ce monde immersif et connecté permettrait de créer un nouvel environnement éducatif, à travers lequel les étudiants de demain pourront explorer l’anatomie humaine sous toutes les coutures grâce à un hologramme. Cette approche complèterait avantageusement les méthodes traditionnelles, pour notamment réaliser en chirurgie des simulations immersives au plus proche de la réalité, ou expliquer en temps réel les procédures et protocoles de soins.

L’éthique au chevet du métavers médical

Toutes les promesses et perspectives autour du métavers médical ne doivent pas occulter les enjeux, les risques et les questionnements éthiques associés :
 
• L’accumulation de données sur chaque aspect de la vie humaine signifiera également une perte progressive de la vie privée. La question de la confidentialité et de la cybersécurité des données est évidemment essentielle. Quelles législation et règlementation s'appliqueront au métavers médical ? Pour collecter quelles données et selon quelles finalités ? L’usager de santé pourra-t-il s’y opposer ? Qui sera garant et chargé d’assurer le respect des règles définies ? Quelle sera la part de gouvernance par les systèmes algorithmiques ? Existe-t-il un référentiel reconnu sur les bonnes pratiques éthiques des données numériques au sein du monde virtuel ?
 
• La gestion et l’usurpation de l’identité du patient et du soignant deviennent également un sujet d’inquiétude. Comment être certain que la personne rencontrée dans le monde virtuel est bien celle qu’elle prétend être ? Quelles seront la crédibilité et la responsabilité médicale d’une validation à distance ? Que se passerait-il si l'identité est usurpée à des fins malveillantes ? Quelles seront les conséquences de cette seconde identité numérique – et parfois fantasmée – sur le quotidien d’une personne ? Pourrait-elle entraîner une perception perturbée de la réalité ? Quid de la dépendance affective vis-à-vis de son avatar ? Les addictions potentielles sont vastes et ont à la fois des conséquences sociales et sanitaires, comme une mobilité réduite associée à un risque plus élevé d’obésité, de troubles métaboliques et de maladies cardiaques. Comment mieux prévenir les effets de cette porosité entre monde physique et virtuel ?
 
• L’autonomie et le libre arbitre pourraient également être remis en question. Comment obtenir le consentement libre et éclairé de la part du patient au sein d’un métavers médical ? Comment s’assurer que ce consentement provienne bien de la bonne personne ? Le médecin conservera-t-il lui-même son libre arbitre si l’exercice médical se virtualise et intègre de plus en plus des systèmes d’IA d’aide à la décision ? Qu’en est-il du principe de garantie humaine ? Qui sera chargé de le mettre en œuvre au sein du métavers médical ? Et à quel niveau faudrait-il le positionner ? L’opacité du métavers médical deviendra aussi un sujet sensible et hautement surveillé. Quelles sont ses finalités, quel degré de transparence offre-t-il, quelle facilité d’accès aux informations ? Les algorithmes utilisés sont-ils explicables, régulièrement testés et évalués ?
 
• L'ultra-digitalisation et la dimension immersive de la réalité virtuelle du métavers pourraient accroître la déshumanisation et intensifier la rupture des rapports sociaux authentiques. Faut-il repenser notre rapport à l'outil en éduquant notamment les utilisateurs ? Comment les médecins peuvent-ils faire une consultation médicale de qualité et pertinente devant un patient-avatar, sans accès à ses « vrais » corps et visage humains ? Est-ce la fin de la relation médecin-patient telle que nous la connaissons, et donc d’une médecine basée sur la perception du non-dit, le ressenti et les émotions ? Se pose également la question de la maîtrise que conserverait la génération à venir de soignants vis-à-vis d’un monde virtuel immersif et ultraconnecté. Faut-il repenser la place du professionnel de santé – devenue complémentaire aux applications numériques notamment aux solutions d’IA d’aide à la décision médicale ?
 
• L’acculturation est aujourd’hui loin d’être suffisante et ne favorise pas de déploiement à grande échelle. Comment éduquer et former les différents acteurs du parcours de santé aux usages et applications futurs du métavers médical ? La virtualisation à venir d’une partie de notre système de santé va en outre nécessairement entraîner une discrimination à la fois sociale et économique. Quel sera le coût d'acquisition des équipements, toutes les classes sociales y auront-elles accès ? Y aura-t-il du matériel plus haut de gamme permettant une meilleure immersion ou conférant plus d'avantages à l'utilisateur ? Qu’en sera-t-il de l’inclusivité des utilisateurs, se verront-ils appliquer la même règle d’accès, pourront-ils tous utiliser le métavers médical de la même manière, y compris les personnes atteintes d’un handicap physique ou mental ? L’applicabilité et l’adaptabilité du métavers médical représenteront deux autres points de vigilance, afin que les utilisateurs puissent véritablement s’approprier les fonctionnements et usages de l’hôpital virtuel. Existera-t-il un mode d’emploi pour le métavers ? Par ailleurs, les technologies le composant auront un impact non négligeable sur l’environnement. Comment le limiter ? La soutenabilité écologique du métavers est-elle une utopie ? La mise en place d’un système d’autorisation contraignant les acteurs à réaliser des études d’impact de leurs projets est-elle possible ?

Pour conclure…

Rappelons néanmoins pour finir que le métavers en santé n’est pas encore vraiment disponible : de nombreux usages étant encore au stade de projet en création, il est difficile de véritablement connaître toutes ses possibilités et limites. Nous ne pouvons qu’en avoir une vision prospective. Cela étant, si tous les verrous technologiques se lèvent et que l’avènement du métavers se confirme, ce monde virtuel pourrait bien refaçonner et modifier en profondeur la pratique de la médecine, du moins celle ne relevant pas directement du corps (ce qui n’est par exemple pas le cas de la consultation médicale), ainsi que les rapports entre les différents acteurs du parcours de soins. Aujourd’hui à l’état embryonnaire, la liste des applications possibles et des perspectives dans le métavers médical semble néanmoins vouée à être continuellement enrichie, avec des applications pratiques concernant la méta-conversion des usages et activités médicales déjà existantes, mais aussi des activités nouvelles spécifiques à ce monde virtuel et immersif.
 
C’est pourquoi, une approche et un encadrement éthiques du métavers médical proposant une régulation adéquate de l’espace disruptif apparaissent comme déterminants, voire essentiels, afin que les promesses et les attentes associées des acteurs de la santé ne se transforment pas en déconvenues. C’est en permettant aux acteurs de santé de créer autrement le parcours patient et donc d’imaginer différemment la prise en charge en santé pour, peut-être, influencer positivement le réel médical, que le métavers médical prendra tout son sens. Pour cela, il faudra qu’il réponde à la fois aux exigences des professionnels de santé et aux attentes des patients.
 
Demain se construisant aujourd’hui, à nous de veiller à ce que le virtuel – qui augmentera dans un futur plus ou moins proche notre réalité médicale – ne la remplace totalement…

Article publié dans l'édition de décembre 2022 d'Hospitalia à lire ici.
 

Les auteurs ont la parole
 
Dans la continuité de leur article sur les opportunités et points de vigilance du métavers appliqué à la santé, les trois co-auteurs – l’un, spécialiste de l’éthique du digital, l’autre, médecin en exercice, et la troisième, étudiante en médecine – nous livrent leur vision en faisant le lien avec leurs pratiques actuelles.
 
Dr Cécile Monteil, médecin urgentiste à l’hôpital Robert Debré (AP-HP) : « Le métavers médical est encore aujourd’hui une notion très vague : sa définition existe, mais le métavers en tant que tel n’a à ce jour pas été créé. On ne peut donc que tenter d’imaginer des applications et cas d’usages possibles au sein de cet environnement virtuel, interactif et connecté. Cela dit, le métavers médical représente à mon sens le pas suivant, après la réalité virtuelle et la réalité augmentée. Or celles-ci sont aujourd’hui utilisées de manière très marginale par les professionnels de santé. Pour avoir une véritable révolution, il faudra donc bien patienter. Quelles que soient les avancées technologiques, on soignera toujours un corps et non un avatar. La médecine est un art autant qu’une science basée sur l’humain, le contact, l’échange, la relation à l’autre. Dans cette optique, je pense que le métavers médical, s’il se concrétise un jour, sera un outil de plus à disposition des médecins, comme le sont aujourd’hui les algorithmes d’intelligence artificielle, avec des applications très ciblées, par exemple dans le cadre de l’analgésie, de la chirurgie ou de la rééducation ».
 
Emma Tahon – étudiante en 2ème cycle, Faculté de Médecine de Paris : « Le métavers médical n’est pas encore, à ma connaissance, une notion réellement abordée en Faculté de Médecine, où sont pour l’instant privilégiées les technologies ayant déjà des applications concrètes, comme les algorithmes d’intelligence artificielle, la réalité virtuelle, la réalité augmentée. Même si de nombreux étudiants en médecine en ont entendu parler, il reste encore aujourd’hui une réalité difficile à cerner. C’est entre autres pour le démystifier et le développer qu’a d’ailleurs été récemment créé à Paris un Diplôme Universitaire consacré au métavers en santé. En tout état de cause, je pense qu’il pourrait, demain, trouver sa place à l’hôpital, en particulier pour améliorer la gestion et l’organisation des prises en charge, limiter les examens redondants et mieux suivre certains patients chroniques. Mais il lui faudra à mon sens d’abord démontrer son service rendu et, naturellement, s’insérer dans les pratiques professionnelles. Cela ne surviendra que s’il saura s’adapter aux besoins du plus grand nombre d’utilisateurs : patients et praticiens ».
 
Jérôme Béranger, CEO de GoodAlgo : « Depuis un peu plus d’un an, le métavers est régulièrement abordé dans les congrès scientifiques ou en lien avec les technologies digitales émergentes. Le 24 octobre dernier, un premier rapport exploratoire remis au gouvernement français s’est d’ailleurs intéressé à ce concept, cherchant à considérer ses opportunités et limites le plus justement possible, et le dernier Forum Mondial de Davos s’est interrogé sur la nécessité d’élaborer des normes de sécurité internationales applicables au métavers. Car c’est justement là que le bât blesse. Il est ici possible de se nourrir des règlementations existantes, en matière de protection des données et des consommateurs, de cybersécurité, propriété intellectuelle et fiscalité, de respect des libertés fondamentales, etc., en gardant néanmoins en tête que le métavers ne connaît pas de frontières physiques. Comment imposer une régulation et un cadre éthique primordial – car source de confiance pour les utilisateurs – à des plateformes privées et s’assurer du bien-fondé et du bon sens de leur application ? Nous voyons combien cela est difficile avec les réseaux sociaux… Pourquoi ne pas alors imaginer, pour le métavers médical, un ‘store’ sur le modèle de celui de Mon Espace Santé, avec des applications et des métavers référencés par les pouvoirs publics et les autorités sanitaires ? ».






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