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Pharmacie

Le décryptage de LMT Avocats. LFSS 2021 : tabula rasa du régime de l’accès précoce des médicaments


Rédigé par Me Ghislaine ISSENHUTH, Avocat au Barreau de Paris, et Me Olivier SAMYN, Associé, LMT Avocats. le Lundi 22 Février 2021 à 12:26 | Lu 899 fois


La Loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 (la LFSS), publiée au Journal Officiel le 15 décembre 2020, a procédé à la refonte totale des deux régimes de prise en charge dérogatoire des médicaments : les Autorisations Temporaires d’Utilisation (ATU) et les Recommandations Temporaires d’Utilisation (RTU).

Par Me Ghislaine ISSENHUTH, Avocat au Barreau de Paris, et Me Olivier SAMYN, Associé, LMT Avocats.



Un régime complexe issu de multiples réformes

Le décryptage de LMT Avocats. LFSS 2021 : tabula rasa du régime de l’accès précoce des médicaments
Le régime de l’accès précoce des médicaments s’est construit tel un mille-feuille durant les 30 dernières années pour arriver à un système quasi unique en Europe, à la lisibilité et à la mise en œuvre toutefois complexes. Soucieux de pérenniser ce système les pouvoirs publics ont travaillé avec les représentants de patients et les industriels à le réformer en profondeur afin d’instaurer une plus grande prévisibilité.
 
Pour comprendre l’origine de cette réforme, un bref rappel historique s’impose. À l’origine, l’accès précoce, c’est-à-dire la mise à disposition d’un produit, ne disposant pas d’une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) avait un but compassionnel. En effet, les ATU ont été mises en place pour répondre à un besoin de santé publique en permettant l’accès, en amont de l’AMM, à des médicaments destinés à traiter des patients atteints de maladies graves ou rares, sans alternative thérapeutique. 
 
Cet accès dérogatoire a été instauré en France en 1992 [1] dans le contexte de l’épidémie liée au VIH avec la création de deux types d’ATU : les ATU dites de cohorte et les ATU nominatives, les premières visant un groupe ou un sous-groupe de patients et étant à l’initiative du titulaire des droits d’exploitation, alors que la seconde s’adresse à un seul patient et est délivrée à l’initiative d’un médecin prescripteur.
 
La mise en pratique du régime des ATU a fait apparaître une certaine pérennisation de produits en ATU nominatives en l’absence de toute perspective de sortie du dispositif, s’agissant le plus souvent de molécules anciennes. Par ailleurs, la question de la fixation du prix des médicaments sous ATU s’est révélée problématique et a conduit à une réforme de l’encadrement des ATU par la loi Bertrand [2]. À cette occasion, le besoin d’offrir un encadrement sécurisé à la prescription de spécialités en dehors de leur AMM a émergé pour donner naissance aux RTU, qui permettent la prescription d’une spécialité dans une indication différente ou des conditions d’utilisation non conformes à son AMM, en l’absence d’alternative médicamenteuse appropriée autorisée [3].
 
La France ayant identifié l’accès rapide aux produits de santé innovants comme un enjeu majeur du système de santé, elle a souhaité étendre ce dispositif à des situations non couvertes identifiées lors du 8ème Conseil stratégique des industries de santé qui s’est tenu en juillet 2018, notamment en cas d’extension d’indication. Ainsi, la LFSS de 2019 [4] a étendu les ATU aux ATU de cohorte d’extension d’indication permettant l’accès rapide pour des extensions d’indications, alors que le dispositif était réservé aux premières indications thérapeutiques demandant leur prise en charge, et le post-ATU dit « direct » qui permet d’entrer dans le dispositif post-ATU sans avoir obtenu au préalable une ATU dans l’indication concernée.
 
Au final, ce dispositif est l’un des régimes d’accès aux nouvelles thérapeutiques les plus ouverts et l’un des plus précoces d’Europe. Toutefois la coexistence de six typologies d’autorisations différentes répondant à des conditions d’accès et de prise en charge spécifiques a rendu le dispositif difficilement lisible, et a amené les divers acteurs en présence à réfléchir à sa refonte. Les deux grands axes choisis semblent revenir aux fondamentaux des mécanismes de prise en charge dérogatoires des médicaments à travers la dichotomie accès précoce/accès compassionnel. 

Me Ghislaine ISSENHUTH, Avocat au Barreau de Paris, LMT Avocats
Me Ghislaine ISSENHUTH, Avocat au Barreau de Paris, LMT Avocats

L’accès précoce

Le mécanisme d’accès précoce concerne les médicaments innovants en développement destinés à être mis sur le marché et à être pris en charge par la sécurité sociale, dont le prix est en principe librement fixé par le laboratoire avec un double système de remises (annuelle et au moment de la sortie du dispositif).
 
Une des nouveautés majeures de ce mécanisme réside dans le rôle confié à la Haute Autorité de Santé (HAS), à présent en charge de délivrer ces autorisations après avoir examiné les critères devant être remplis par la spécialité, à savoir :
 
  • l’absence de traitement approprié,
  • l’impossibilité de différer la mise en œuvre du traitement,
  • une forte présomption d’efficacité et de sécurité du médicament au vu des résultats d’essais thérapeutiques,
  • la présomption du caractère innovant notamment au regard d’un éventuel comparateur cliniquement pertinent.
 
L’accès précoce qui recouvre les anciennes ATU impose donc un nouveau critère puisque la démonstration de la présomption du caractère innovant du produit n’était jusqu’à présent pas exigée, et son appréciation par la HAS devra être suivie avec attention.
 
La délivrance de cette autorisation entrainera la prise en charge automatique du produit jusqu’à l’accès au droit commun. Toutefois les conditions de prise de ces spécialités comme les modalités de fixation des seuils de chiffre d’affaires et des taux de remises associés doivent encore être fixés par voie règlementaire. Il est d’ores et déjà prévu que le taux de remise pourra être majoré, notamment en cas de dépassement d’un délai de 180 jours entre le dépôt de la demande de remboursement et l’inscription sur une des listes d’admission au remboursement. On peut s’interroger sur les modalités d’application de cette majoration, dans l’hypothèse où le dépassement du délai de 180 jours n’était pas du fait de l’industriel mais d’une des autorités en charge de la procédure d’inscription (Commission de la Transparence, CEPS...).

Me Olivier SAMYN, Associé, LMT Avocats
Me Olivier SAMYN, Associé, LMT Avocats

L’accès compassionnel

Le mécanisme d’accès compassionnel quant à lui s’applique aux médicaments qui répondent de façon satisfaisante à un besoin thérapeutique autre que celui pour lequel ils sont autorisés, mais qui ne sont pas nécessairement innovants. 
 
Contrairement à l’accès précoce, l’autorité en charge de l’accès compassionnel demeure l’ANSM qui peut délivrer deux types d’autorisations :
  • une autorisation d’accès compassionnel pour les produits qui n’ont pas d’AMM, ou pour un produit qui fait l’objet d’un arrêt de commercialisation et dont l’AMM ne porte pas sur l’indication thérapeutique sollicitée,
  • une autorisation pour une prescription compassionnelle pour un produit disposant d’une AMM mais pas dans l’indication concernée. Il s’agit d’un mécanisme de sécurisation de la prescription hors AMM qui peut être non seulement autorisé par l’ANSM, mais également par le Ministre en charge de la santé ou le Ministre en charge de la sécurité sociale.
 
Les médicaments éligibles à ce mécanisme sont des médicaments qui ne font pas l’objet d’une recherche impliquant la personne humaine à des fins commerciales, qui répondent à un besoin pour lequel il n’existe pas de traitement approprié et dont l’efficacité et la sécurité sont présumées au regard des données cliniques disponibles, ainsi que lorsque l’indication concerne une maladie rare, des travaux et données collectées par les professionnels de santé.
 
Si la spécialité est déjà prise en charge, l’indication objet de l’accès précoce sera prise en charge dans les mêmes conditions. Dans l’hypothèse où le produit n’est pas pris en charge, l’accès compassionnel est pris en charge soit une sur une base forfaitaire annuelle définie par patient, soit sur la base du prix fixé par l’industriel et facturé aux établissements de santé. L’arrêté de prise en charge peut assortir la prise en charge de l’obligation pour l’industriel de déposer une demande d’AMM ou d’inscription sur une liste de remboursement, et de respecter des conditions de dispensation particulières. 

La prescription hors AMM

La refonte de l’encadrement des ATU et des RTU a, par ailleurs, été l’occasion pour le législateur de modifier les conditions de la prescription hors AMM puisqu’au-delà du système de la prescription compassionnelle, demeure la possibilité de prescrire une spécialité en dehors de son AMM en l’absence d’alternative thérapeutique appropriée disposant d’une AMM, et sous réserve que le prescripteur juge indispensable, au regard des connaissances médicales avérées, le recours à ce médicament pour améliorer ou stabiliser l’état clinique de son patient. La modification de la rédaction de l’article L. 5121-12-1-2 du Code de la santé publique est subtile et est passée inaperçue mais pour autant elle n’est pas sans conséquence. 
 
En effet, jusqu’à présent le référentiel du prescripteur était les « données acquises de la science ». La LFSS a remplacé cette notion par celle de « connaissances médicales avérées » introduite par la loi du 4 mars 2002 à l’article L.1110-5 du Code de la santé publique «Toute personne a [...] le droit de recevoir  […] les soins les plus appropriés […] au regard des connaissances médicales avérées.[…] » Cette notion n’a toutefois pas été définie par la loi du 4 mars 2002 et n’est ni reprise par le Code de déontologie médicale, qui impose des soins consciencieux, dévoués et fondées sur les données acquises de la science (article R. 4127-32 du Code de la santé publique), ni par la jurisprudence qui, saisie de la question d’une faute commise par un médecin, analysera le manquement au regard des données acquises de la science. Or, loin d’être un simple changement sémantique, ces notions n’emportent pas les mêmes conséquences dans la mesure où les données acquises de la science sont les connaissances médicales « perçues comme classiques, apprises et suivies dans la pratique et l’expérience médicale établie » [5], alors que la notion de « connaissances médicales avérées » impose aux médecins de se conformer à la médecine basée sur les données probantes. Une connaissance médicale peut être « avérée » mais « non acquise » par tous les praticiens, ce changement de notion semble imposer un référentiel plus large aux prescripteurs. 

Conclusion

La refonte du mécanisme de l’accès précoce/compassionnel entrera en vigueur au plus tard le 1er juillet 2021. La transition entre l’ancien et le nouveau régime interroge. En l’état, les ATU demeurent régies jusqu’à leur terme par les dispositions antérieures à la LFSS 2021. Elles ne pourront cependant pas être renouvelées, mais devront faire l’objet d’une demande d’accès précoce ou compassionnel. Concernant les RTU, ces dernières passent automatiquement dans le mécanisme de l’accès compassionnel mais leur prise en charge restera soumise aux règles applicables aux RTU. 

Afin de s’assurer de l’efficience de ce nouveau régime, un rapport évaluant l’impact de la refonte des modalités d’accès et de prise en charge des nouveaux médicaments innovants devra être rendu en décembre 2023, qui amènera sans doute à une nouvelle évolution de la règlementation.        


Notes
[1] Loi n° 92-1279 du 8 décembre 1992 modifiant le livre V du code de la santé publique et relative à la pharmacie et au médicament
[2] Loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité du médicament et des produits de santé
[3] Article L. 5121-12-1 du Code de la santé publique
[4] Loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 n° 2018-1203 du 22 décembre 2018
[5] J.M. Debarre, « Sémantique des données acquises de la science comparée aux connaissances médicales avérées. Pour une obligation du médecin à respecter les connaissances médicales avérées ou acquises », Médecine&Droit 2012, p. 22.






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