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Hygiène

« La prévention du risque infectieux est aujourd’hui à la croisée des chemins »


Rédigé par Joëlle Hayek le Mercredi 29 Mai 2024 à 09:13 | Lu 2818 fois


À quelques semaines de l’ouverture du XXXIVème congrès national de la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H), qui se tiendra cette année du 5 au 7 juin au Centre Prouvé de Nancy, Hospitalia a rencontré le Docteur Pierre Parneix, président de la société savante et responsable du CPias Nouvelle-Aquitaine, pour faire le point sur les enjeux de la discipline et revenir sur quelques temps forts du congrès.



© Nelly Stephan
© Nelly Stephan
Quels sujets occupent actuellement la SF2H ?

Dr Pierre Parneix : La prévention du risque infectieux, bien sûr, qui demeure au cœur de nos préoccupations, dans les structures de soins mais aussi auprès du grand public. L’on peut à cet égard déplorer qu’en population générale, les « bonnes » habitudes acquises à la suite de la crise Covid se soient perdues. Je pense notamment ici à l’hygiène des mains qui, un temps, était devenue un geste réflexe. Il aurait été utile de la maintenir, mais il aurait aussi fallu, pour cela, conserver des distributeurs de produits hydro-alcooliques fonctionnels au sein de l’espace public. Toujours est-il que pour poursuivre et pérenniser les actions de prévention et de contrôle des infections (PCI), il nous faut continuer à inscrire notre discipline dans une dynamique positive. Le réseau des Jeunes professionnels de la prévention du risque infectieux (JePPRI) s’y emploie très bien, multipliant les actions et les animations pour susciter, avec succès, l’intérêt des jeunes générations. Pour notre part, nous œuvrons toujours pour la création d’un statut d’infirmier de pratique avancée (IPA) en PCI, qui permettra d’acquérir et de valoriser de nouvelles compétences. Cela nous semble, aussi, être une manière opportune de faire face aux défis à venir dans le domaine de la sécurité des soins.

Justement, l’un de ces défis consiste à mieux articuler les enjeux du contrôle de l’infection, avec ceux du développement durable. Comment les adressez-vous ?

Cette problématique mobilise en effet beaucoup les professionnels de la prévention du risque infectieux, d’autant qu’elle trouve un réel écho auprès des autres spécialistes et métiers hospitaliers. Le développement durable s’est ainsi fortement, et naturellement, implanté au sein de notre société savante, qui compte bien y prendre part. Par exemple, nous travaillons à réduire l’impact carbone de notre congrès national qui, comme tout événement de cette envergure, est par essence non durable. Chercher à être les moins impactants sur le plan écologique est pour nous un devoir, et nous avons déjà identifié plusieurs actions en ce sens pour l’édition 2024, qui se tiendra du 5 au 7 juin prochains à Nancy. Comme je le soulignais, cette tendance se matérialise aussi dans les pratiques professionnelles, où la notion d’éco-responsabilité occupe désormais une place majeure. Nous l’observons, par exemple, dans la volonté de réduire le recours aux produits chimiques et, plus globalement, de privilégier des formulations moins nocives pour l’environnement. 

Cette dimension durable sera au cœur de la session internationale, qui est toujours un temps fort du congrès. Pourriez-vous nous en parler ?

Nous évoquerons notamment le retraitement des dispositifs médicaux à usage unique, un enjeu qu’il nous semble utile d’adresser dans un contexte de raréfaction des ressources et des matières premières – ce qui suscite des inquiétudes croissantes chez les spécialistes médicaux, nombreux à utiliser des dispositifs très sophistiqués sur le plan électrique et électronique, pour lesquels l’usage unique est longtemps resté la règle. Or ces équipements critiques ne sont pas produits dans notre pays. Nous ne sommes donc pas à l’abri de ruptures, à l’instar de celles que nous connaissons déjà pour certains médicaments. Pourtant, le retraitement des dispositifs à usage unique est autorisé par la règlementation européenne, et plusieurs pays ont déjà sauté le pas. Mais la France restait en retrait. Notre législation sur la prévention du risque infectieux a en effet été mise en place à la suite du scandale sanitaire de la Clinique du Sport qui, comme vous le savez, était dû à des dispositifs médicaux mal stérilisés. L’attentisme français est donc compréhensible.

© Nelly Stephan
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La donne a toutefois changé.

Face aux risques de pénuries, les autorités ont en effet compris que des évolutions étaient nécessaires. La Loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024 a donc ouvert la voie au retraitement des dispositifs médicaux à usage unique, qui devrait être expérimenté à l’AP-HP, aux Hospices Civils de Lyon et au CHU de Bordeaux. Mais il ne s’agit pas, non plus, d’ouvrir toutes les vannes : ces dispositifs ne pourront être retraités que par un prestataire offrant toutes les garanties de sécurité sanitaire. Il sera d’ailleurs tenu de les soumettre à une nouvelle procédure de marquage CE, engageant ainsi sa responsabilité en cas de dysfonctionnement. À ce jour, un seul industriel européen, implanté en Allemagne, est en mesure de mener à bien cette tâche complexe. La SF2H a visité ses installations et constaté la rigueur de ses processus. Pour autant, une fois l’expérimentation parvenue à son terme, il nous faudra construire une filière efficace, afin que chaque établissement souhaitant retraiter ses dispositifs médicaux à usage unique puisse le faire en toute confiance, et dans des délais maîtrisés. Ce sont autant d’enjeux que nous évoquerons lors de la session internationale, avec des retours d’expériences de nos confrères européens.

Que dit cette évolution des tendances actuelles en matière de prévention du risque infectieux ?

Nous assistons clairement à un changement de paradigme. Longtemps, l’interdiction systématique était la règle, particulièrement à l’Hôpital où le risque infectieux est souvent synonyme de conséquences délétères pour les patients. Des assouplissements sont désormais en cours, mais il nous faut les mettre en œuvre intelligemment afin d’assurer, autant que possible, la maîtrise de ce risque. Ces évolutions sont, nous l’avons vu, imposées par le contexte actuel, avec une attention marquée portée à la notion de responsabilité sociale et environnementale. Nous avons évoqué le cas des dispositifs médicaux à usage unique, mais les exemples sont nombreux. Ainsi, la réutilisation des eaux usées traitées était également interdite dans les établissements de santé et les structures accueillant des publics fragiles. Des changements sont également en cours ici, avec comme double objectif d’alléger la pression sur les ressources d’eau naturelle, tout en maintenant la sécurité sanitaire des populations. 

Autre moment attendu par les congressistes : la présentation des travaux de la SF2H sur la prévention des risques respiratoires. Pourriez-vous nous en parler ?

C’est typiquement un sujet de l’ère post-Covid. Nous avions déjà évoqué quelques pistes lors du congrès 2023, mais nous pourrons désormais présenter nos travaux plus en détail, car le futur Guide de prévention des transmissions respiratoires est en cours de finalisation et devrait paraître en septembre. Sa rédaction a associé des ingénieurs, des spécialistes de la qualité de l’air et des membres de l’INRS, et ce croisement des regards est en lui-même un nouveau paradigme. La SF2H compte d’ailleurs bien continuer à s’ouvrir à d’autres cultures. Par exemple, dans le cadre de nos travaux sur la prévention des risques liés à l’eau, nous cherchons à nous rapprocher des ingénieurs hospitaliers pour réfléchir à l’optimisation des réseaux, mais aussi des constructeurs afin de, peut-être, améliorer la conception des siphons, qui sont souvent contaminés par des bactéries résistantes. 

Ce XXXIVème congrès mettra également l’accent sur les dispositifs de pédagogie ludique, et particulièrement les escape games, qui rencontrent un succès croissant au sein des établissements de santé…

Les approches ludo-éducatives suscitent effectivement un réel intérêt sur le terrain, avec de nombreux dispositifs développés en interne. Lors de notre appel à candidatures, nous avons reçu pas moins de 23 dossiers ! La mission MATIS prévoit d’ailleurs d’effectuer un recueil des outils existants, qui devraient à terme être accessibles via une base de données nationale. Notre prochain congrès proposera quant à lui plusieurs animations pédagogiques, sur la prévention du risque infectieux mais aussi, par exemple, la prévention des risques psycho-sociaux, qui représente aujourd’hui un réel point de vigilance au sein des établissements de soins. Aucune spécialité n’est épargnée, y compris la nôtre. Cette problématique a déjà été traitée par la SF2H sous l’angle des ratios, car des équipes en sous-effectifs sont à risque de burn-out. Mais nos recommandations ne sont malheureusement pas appliquées. 

© Nelly Stephan
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Quelle est aujourd’hui la situation sur le terrain ?

Il est difficile de disposer ici de chiffres précis, car le système de recueil national des effectifs hygiénistes n’est plus alimenté. Une enquête menée par notre société savante a toutefois mis en lumière la persistance d’un sous-dimensionnement des équipes, qui peut certainement être expliqué par les difficultés de recrutements au sein des établissements de santé. Il est donc plus que jamais nécessaire d’identifier les risques psycho-sociaux en amont, car l’épuisement professionnel n’est pas sans impact sur la qualité et la sécurité des soins. À titre d’exemple, le CPias Nouvelle-Aquitaine a récemment effectué une analyse de la pratique professionnelle des équipes d’hygiène hospitalière, afin d’évaluer les difficultés éventuelles et mettre en œuvre les mesures adéquates. Ces travaux seront d’ailleurs lauréats du prochain Prix Paramédical ce qui, nous l’espérons, favorisera leur réplication.

Quid des sessions autour de l’antibiorésistance ?

Les résistances bactériennes représentent un enjeu constant. Mais la situation a changé, car nous avons perdu la maîtrise complète qui était la règle il y a encore seulement quelques années. Il n’est plus rare, désormais, de voir des établissements débordés par une épidémie de bactéries hautement résistantes émergentes (BHRe). Un virage est désormais en cours pour s’adapter à cette nouvelle réalité, en lien avec nos capacités réelles de traitement et les moyens dont nous disposons. À cet égard, il est dommage que les logiciels métiers facilitant la collecte et l’exploitation des données ne soient pas plus largement utilisés. Ils sont certes un coût, mais celui-ci est sans commune mesure avec le retour sur investissement, y compris et surtout en termes de santé publique. Toujours est-il que l’antibiorésistance ne peut plus être traitée comme elle l’était il y a une décennie. 

Que préconisez-vous ?

Peut-être faudrait-il différencier notre stratégie selon la dangerosité du pathogène. Par exemple, la présence du gène de résistance NDM-1, qui s’est diffusé dans plusieurs types de bactéries, est plus problématique, car plus complexe à traiter, que d’autres mécanismes de résistance. Ces réflexions seront également évoquées au cours de notre congrès, qui se penchera en outre sur la prévention des infections urinaires, elles-mêmes identifiées comme l’un des principaux réservoirs de bactéries multi-résistantes (BMR), notamment au sein des EHPAD. Sur ce dernier point, si la prévention du risque infectieux a incontestablement progressé dans les établissements médico-sociaux, particulièrement grâce aux Équipes mobiles d’hygiène (EMH), la marge de progression demeure importante, sur la friction hydro-alcoolique, la vaccination, etc. Mais nous sommes optimistes car les EMH sont soutenues et financées par les pouvoirs publics ; elles ont donc vocation à s’étendre encore. Ce dispositif est en outre très favorablement accueilli par les équipes des EHPAD, tout en étant source de satisfaction pour les professionnels y exerçant. Les IDE hygiénistes sont, par exemple, de plus en plus nombreux à demander à rejoindre une EMH.

Le mot de la fin ?

La prévention du risque infectieux est aujourd’hui à la croisée des chemins, pour toutes les raisons que nous venons d’évoquer. Le pragmatisme est plus que jamais de mise pour à la fois relever les enjeux actuels et mieux anticiper ceux à venir. Les défis sont certes nombreux, mais la volonté d’y faire face collectivement est bien réelle. Et, si nous avons bien sûr des sujets d’inquiétudes, notamment en ce qui concerne un dimensionnement adéquat des effectifs hygiénistes afin que les professionnels sur le terrain puissent mener à bien les nombreuses missions qui sont les leurs, nous sommes aussi heureux de constater que notre discipline attire de jeunes médecins et de jeunes infirmiers véritablement engagés pour la santé publique. La relève semble assurée !

Plus d’informations sur le congrès 2024 et l’actualité de la SF2H.

> Article paru dans Hospitalia #65, édition de mai 2024, 
à lire ici 
 






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