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« Un changement de perception vis-à-vis du patient qui peut être, en quelque sorte, ”dématérialisé” »


Rédigé par Rédaction le Mercredi 10 Mars 2021 à 09:42 | Lu 385 fois


Statisticien, sociologue et directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), Emmanuel Didier se consacre depuis plusieurs années au monde de la santé, travaillant notamment sur les enjeux liés à la digitalisation des soins. Également membre du Conseil Consultatif National d’Éthique (CCNE), il a récemment participé aux réflexions engagées à la lumière de la crise sanitaire. Rencontre.



Emmanuel Didier, sociologue et directeur de recherche au CNRS. ©DR
Emmanuel Didier, sociologue et directeur de recherche au CNRS. ©DR
Plusieurs de vos travaux portent sur les rapports entre santé et numérique. Quels sont vos constats ?
Emmanuel Didier : L’essor des technologies digitales, et plus particulièrement le développement des données de masse (Big Data) appliquées à la santé, transforment foncièrement les infrastructures et organisations sanitaires, les patients, les soignants, ainsi que les relations entre toutes ces parties. Devenu une « petite base de données », le patient est désormais perçu différemment.En Californie, par exemple, j’ai pu me rendre compte que plusieurs professionnels de santé préféraient voir le séquençage génomique d’un patient avant même de le rencontrer. Même si cette pratique n’est pas systématique et qu’elle fait d’ailleurs débat parmi ces médecins eux-mêmes, elle n’en est pas moins révélatrice du changement de perception qu’ont les professionnels de santé vis-à-vis du patient qui peut être, en quelque sorte, « dématérialisé ». 

Quelles autres transformations avez-vous pu identifier ? 
Outre ce changement quasi-ontologique dans la figure-même du patient, les bouleversements les plus importants ont trait à la création de nouvelles infrastructures de données et à l’émergence de nouveaux métiers autour du soin. L’un des exemples les plus criants de ces derniers mois est certainement la création, en France, du Health Data Hub, qui permet de stocker des données produites à partir de plusieurs sources. Ce type d’outils pose plusieurs problématiques à la fois d’ordre éthique et technique. Liées aux infrastructures numériques et à la circulation des données, elles soulèvent, par là même, toute une série d’interrogations autour du secret médical et de la souveraineté nationale. 

Vous êtes vous-même membre du CCNE, où vous vous êtes justement penché sur ces questionnements éthiques. Comment les conjuguer selon vous avec l’émergence de la santé numérique ? 
Comme nous venons de l’évoquer, l’un des enjeux qui mobilise aujourd’hui les attentions tourne autour du secret médical, notamment en ce qui concerne le partage et le traitement des données issues des établissements de santé. C’est donc un premier point de vigilance. Par ailleurs, au-delà du stockage des données patient et des questions de souveraineté nationale qui y sont liées, l’essor de l’intelligence artificielle au sein des systèmes d’aide à la décision pose également le problème de la « garantie humaine », c’est-à-dire l’assurance, pour le patient, d’être soigné par un humain. La préservation du secret médical et la mise en œuvre de cette garantie humaine sont, pour moi, les fondements que la médecine doit réaffirmer pour garder la confiance de tous.

Vous évoquiez également les bouleversements dus à la création de nouveaux métiers de santé…
Celle-ci représente effectivement une transformation radicale pour tous les acteurs du secteur. De nombreux métiers, tels que biostatisticien, n’existaient pas il y a quelques années… ce qui n’est pas sans amener son lot de nouvelles problématiques ! Outre les enjeux liés à la formation et au recrutement de ces nouveaux profils, se posent également des questions en matière de diagnostic. Par exemple, un biostatisticien qui étudie les variantes génomiques d’un patient remettra ensuite ses conclusions au médecin, charge à ce dernier de poser le diagnostic. Pourtant, dans ce cas précis, c’est bien l’expertise du biostatisticien qui permet d’établir ce diagnostic. Ici comme ailleurs, la création de nouveaux métiers pose donc la question de la coopération entre les différentes spécialités. Des adaptations devraient certainement apparaître dans les prochaines années avec, pourquoi pas, la création de diplômes spécifiques pour que ces nouvelles professions prennent véritablement part à l’acte médical. 

Ces derniers mois, le monde de la santé était sur le devant de la scène. Pensez-vous que cela ait changé la vision qu’en a la société ?
Je ne serai pas en mesure de quantifier l’impact de ce coup de projecteur, mais il est certain que la crise a favorisé de nombreux changements. En premier lieu dans les pratiques sociales, avec l’essor de la télémédecine et plus largement de la téléconférence, qui ont modifié notre approche du numérique. De la même manière, l’apprentissage des gestes barrières, la démocratisation des protocoles d’hygiène, sur une telle échelle, étaient tout simplement inenvisageables il y a seulement quelques mois. Concernant le monde de la santé, le plus impressionnant, pour moi, est que pendant le confinement, la société ait accepté de faire passer les problématiques sanitaires avant tout le reste. Cela n’avait pas été le cas, par exemple, en 1969, quand la grippe de Hongkong était passée quasiment inaperçue face aux problématiques sociales et politiques qui soulevaient alors le pays. Dans le cas du Covid-19, pendant plusieurs semaines, tous ont accepté d’être dirigés par le secteur médico-sanitaire, reléguant les autres au second plan et donnant une importance majeure à un conseil scientifique. Personnellement, j’ai été très surpris que tout le monde s’en soit accommodé aussi facilement, même les jeunes qui, pour certains, font aujourd’hui « le pire sacrifice ». 


 

Parcours

Après de premières études en école d’ingénieur pour se consacrer aux statistiques, Emmanuel Didier s’est rapidement intéressé aux questions sociétales, étudiant « la quantification comme un objet social », explique-t-il. Les sujets ne manquant pas, le sociologue s’est d’abord penché sur la politique du chiffre dans la police, une thématique qui, pour lui, « fait la parfaite synthèse » de ses sujets de prédilections que sont « la politique » et « les chiffres ». Après une dizaine d’années consacrées à ces problématiques, le chercheur s’est tourné vers le monde de la santé en travaillant plus particulièrement sur l’intégration du concept de Big Datadans le monde médical. Il a ainsi passé près de trois ans à UCLA en Californie, où il s’est penché sur l’impact de la digitalisation dans le cadre des études génomiques. Emmanuel Didier est aujourd’hui directeur de recherche au CNRS, membre du Centre Mauric e Halbwachs à l’École Normale Supérieure et membre du CCNE. Il est également rédacteur en chef de la revue Statistique et société,et intervient régulièrement à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales pour aborder, notamment, la santé et le Big Data


 
Article publié dans le numéro de décembre d'Hospitalia à consulter ici.






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