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Les influenceurs en santé : d’une révolution annoncée à une révolution avortée


Rédigé par Me Ghislaine ISSENHUTH et Me Olivier SAMYN, Associés, LMT Avocats le Mercredi 3 Avril 2024 à 20:35 | Lu 1810 fois


S’inscrivant dans les actions de l’axe 1 « Améliorer la prévention » de la stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021-2030 lancée par le Président de la République le 4 février 2021, l’Institut national du cancer a développé une nouvelle rubrique web, « Les éclairages de e-cancer », qui entend décrypter les « infox », ces fausses informations largement diffusées par des influenceurs sur les réseaux sociaux. Une mise en place symptomatique des nombreuses et récentes dérives liées à l’activité d’influenceurs dans le domaine de la santé.



Les influenceurs en santé : d’une révolution annoncée à une révolution avortée
Confrontée à la nécessité d’encadrer l’activité d’influenceur pour justement sécuriser l’utilisation des réseaux sociaux, la France est devenue l’un des premiers pays européens à se doter d’un cadre juridique régulant le secteur de l’influence commerciale. C’est tout l’objet de la loi n°2023-451 du 9 juin 2023, qui vise à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux.

Si les conséquences du texte en matière de santé étaient attendues, ses apports restent principalement limités à un simple renvoi aux dispositifs existants. L’activité d’influenceur dans le domaine des produits de santé est donc, aujourd’hui, majoritairement régie par le régime d’encadrement de la promotion des produits de santé. Toutefois, et bien que cette précision n’apparaisse pas dans la loi du 9 juin 2023, l’influenceur pourra également voir son activité encadrée par les dispositifs de prévention des conflits d’intérêts, notamment s’il a le statut de professionnel de santé, ce qui devra conduire les industriels faisant appel aux services des influenceurs pour promouvoir des produits de santé à porter une attention particulière au contenu des contrats conclus avec ces derniers. 

1. Un régime aux apports limités en matière de santé

Les principaux apports du texte résident dans la création d’un statut d’influenceur et d’agent d’influenceur – une relation qui devra nécessairement être formalisée par un contrat écrit –, la prohibition de la promotion portant sur certains produits spécifiques, l’obligation d’indiquer clairement le caractère promotionnel des communications pour lutter contre les publicités subreptices, ainsi que l’instauration de nouvelles obligations liées au signalement des contenus illicites pour les plateformes en ligne.

Au regard des importants enjeux associés à la mise en avant des produits de santé sur internet et les réseaux sociaux, les conséquences de ce nouveau cadre juridique sur l’activité d’influenceur en matière de santé étaient particulièrement attendues. Si la proposition de loi initiale prévoyait un principe d’interdiction absolue pour la promotion des produits pharmaceutiques, des dispositifs médicaux et des actes de chirurgie, le champ d’une telle proscription, qui aurait notamment conduit à interdire la promotion de compléments alimentaires, préservatifs et autres produits en vente libre, a été jugé trop large (1).

Le législateur a finalement décidé d’opérer un simple renvoi aux dispositions déjà existantes en matière d’encadrement de la publicité des produits de santé. Le principe de prohibition absolue initialement prévu a donc été restreint à la seule promotion des actes à visée esthétique, de l’abstention thérapeutique et des produits de nicotine non couverts par la règlementation relative au tabac (2).
 

2. L’encadrement règlementaire de la promotion des produits de santé applicable à l’activité d’influenceur

Comme le rappelle la loi du 9 juin 2023, l’influenceur qui promeut des médicaments ou des dispositifs médicaux se trouve de fait soumis au régime d’encadrement de la publicité en faveur de ces produits de santé.

Dès lors que son activité s’exerce sur les réseaux sociaux, elle est destinée au grand public et fait, en conséquence, l’objet d’un encadrement qui varie selon le type de produits promu. Ainsi, l’influenceur aura interdiction de promouvoir des médicaments soumis à prescription médicale et certains dispositifs médicaux remboursables (3), tandis qu’il devra obtenir une autorisation de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pour d’autres produits, tels que les médicaments non soumis à prescription médicale ainsi que les dispositifs médicaux non remboursables présentant un risque important pour la santé humaine (4). L’influenceur devra en outre respecter les différentes exigences relatives au contenu de la publicité, telles que définies par la règlementation (5).

3. Les dispositifs de prévention des conflits d’intérêts applicables aux relations entre industriels et influenceurs

Dans le cadre du dispositif « transparence des liens d'intérêts », les entreprises produisant ou commercialisant des produits de santé ont pour obligation de publier sur la base Transparence - Santé les informations relatives aux conventions conclues avec certains acteurs (6).

La loi n°2019-774 du 24 juillet 2019 a intégré « les personnes qui, dans les médias ou sur les réseaux sociaux, présentent un ou plusieurs produits de santé, de manière à influencer le public » (7) à la liste des acteurs entrant dans le champ de ce dispositif. Les industriels faisant appel aux services d’un influenceur à des fins promotionnelles devront donc impérativement procéder à la publication imposée.  

Par ailleurs, dès lors qu’un influenceur a le statut de professionnel de santé, ses interactions avec les entreprises produisant ou commercialisant des produits de santé ou des produits pris en charge par la sécurité sociale seront soumises au dispositif dit « d’encadrement des avantages », qui prohibe par principe l’octroi d’avantages au profit de professionnels de santé.

La rémunération d’activités de prestation de service ou de promotion commerciale étant considérée comme un avantage autorisé par dérogation, les industriels peuvent par principe faire appel à des professionnels de santé exerçant une activité « d’influenceur » à de telles fins, mais devront impérativement transmettre la convention conclue à l’autorité compétente pour notification ou autorisation selon le montant de la prestation.  

À noter que les professionnels de santé devront également respecter leurs obligations déontologiques. Dans son rapport d'évaluation 2020-2022 sur les relations entre les médecins et les industries (8), le CNOM a eu l’occasion de souligner la difficile conciliation du respect des principes d’indépendance et de dignité professionnelles, avec les missions de médecin influenceur. Il a d’ailleurs ajouté que « cette problématique [était] de nature à complexifier l’étude des conventions soumises » en application du dispositif d’encadrement des avantages, invitant les industriels à une vigilance particulière quant à ce type de conventions. 

Notes
[1] Rapport de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi d’Arthur Delaporte et Stéphane Vojetta visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux (790).
[2] Article 4 de la loi n° 2023-451 du 9 juin 2023. 
[3] Article L. 5122-6 du code de la santé publique pour les médicaments, article L. 5213-3 du code de la santé publique pour les dispositifs médicaux (DM).
[4] Article L.5122-8 et L.5122-9 du code de la santé publique pour les médicaments, articles L. 5213-4 et R. 5213-8 du code la santé publique pour les DM, article L. 5223-3 du code de la santé publique pour les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (DMDIV).
[5] Articles L.5122-3 et R. 5122-4 du code de la santé publique pour les médicaments, articles R. 5213-1 et R. 5213-2 du code de la santé publique pour les DM et articles R. 5223-1 et R. 5223-2 du code de la santé publique pour les DMDIV.
[6] Articles L.1453-1 et suivants du code de la santé publique.
[7] Article L. 1453-1, 7° bis du code de la santé publique.
[8] CNOM, Rapport d'évaluation 2020-2022 service relations médecins industrie, mars 2023.

> Article paru dans Hospitalia #64, édition de février 2024, à lire ici 
 






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