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Cogito des DG de CHU : Moderniser la gestion de la recherche pour les établissements publics de santé


Rédigé par Rédaction le Lundi 12 Décembre 2022 à 15:10 | Lu 1197 fois


La Conférence des directeurs généraux de CHRU prend chaque mois la plume pour rédiger un cogito afin de donner son avis sur un sujet d’actualité. Ce mois-ci : Moderniser la gestion de la recherche pour les établissements publics de santé. Faire (re)connaître un enjeu décisif pour la santé de demain.
(NDLR : les intertitres sont de la rédaction)



Cogito des DG de CHU : Moderniser la gestion de la recherche pour les établissements publics de santé
Le 13 décembre 2022, les CHU et leur partenaire privilégié en matière de health-tech, le think tank France Biotech, organisent un événement d’une journée dédiée à l’innovation technologique dans les CHU. Cette information n’est pas nécessairement anodine, et ce pour plusieurs raisons :
  • Ne pas partager ce type d’information au sein des équipes reviendrait à en limiter l’usage aux sachants pleinement intégrés aux réseaux de l’innovation en santé ; or, celle-ci demeure le fait du plus grand nombre dans les établissements dès lors qu’on prend en compte l’innovation sur le plan des ressources humaines. La crise sanitaire a impulsé une demande d’innovation RH quasi permanente dans nos organisations, en prenant parfois le risque de les soumettre à un impératif d’agilité et d’adaptation, porteur d’incertitudes pour une partie des équipes ;
  • L’attractivité passe nécessairement par l’innovation médico-soignante. Aucun établissement, qu’il soit CHU ou non, ne peut générer une certaine attractivité s’il ne s’inscrit pas dans une logique d’innova- tion dont les effets concrets pour le patient sont sensibles (dispositifs médicaux inno- vants, nouvelles procédures chirurgicales, personnalisation des thérapies, accès aux molécules innovantes...). Les équipes sont donc plus que légitimes pour participer aux événements de cet ordre ;
  • L’innovation constitue un idéal type qui doit s’inscrire dans un champ décisionnel juste et efficace. Pour éviter que la « science sans conscience ne soit que ruine de l’âme [1] », nous partageons un intérêt collectif à intégrer dans nos processus de décision hospitaliers (mais aussi au sein des agences et ministères porteurs des appels à projets) des garde-fous pour permettre les arbitrages les plus pertinents au regard de finalités dictées par l’intérêt général, dont le secteur public a plus particulièrement la responsabilité. Dans un environnement scientifique et économique très mobile, l’innovation est fortement exposée au risque de captation entre les opérateurs ainsi qu’à la grande mobilité des producteurs. Le cadre décisionnel doit donc aussi être efficace, pour ne pas perdre l’avantage comparatif que représenteront demain des soins innovants développés en France.

Trouver des leviers qui viennent valoriser financièrement l’engagement des équipes

Alors que les enjeux en matière de recherche et d’innovation en santé sont affirmés par le Gouvernement, connus sur le plan économique, que les CHU constituent un acteur important de l’écosystème recherche en santé [2], l’environnement normatif qui encadre la capacité de production des établissements peut s’avérer dans certains cas problématique. Si plusieurs raisons plaident pour revoir les clés de financement entre acteurs au niveau des territoires [3], il convient de traiter parallèlement certains facteurs de complexité, voire d’inertie, qui supposent de faire évoluer globalement les financements au titre des missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation (Merri) [4].

L’un des bienfaits théoriques de l’innovation est sa contribution à la croissance économique. L’innovation peut en effet entraîner une hausse de la productivité, autrement dit une augmentation de la production avec les mêmes intrants. Alors que pour le secteur privé (hors santé), l’innovation et la croissance de la productivité sont bénéfiques pour les consommateurs et les entreprises [5], le raisonnement peine à être transposé en matière de santé et plus particulièrement pour les établissements publics, a fortiori pour les CHU. Aujourd’hui, l’apport des CHU à l’innovation ne trouve pas de réelle traduction financière profitant directement à leur situation budgétaire ; or, celle-ci est mise en tension par des transferts de charge réguliers, notamment pour assurer la continuité du service public en cas de difficulté ou d’indisponibilité des autres offreurs de soins [6]. Sortir de cette situation implique de trouver des leviers qui viennent valoriser financièrement l’engagement des équipes.

Plusieurs actions pourraient ainsi être mises en œuvre :
  • moderniser les règles de la commande publique pour que les établissements qui ont pu contribuer directement aux processus innovants, repris et développés par des industriels associés, bénéficient d’une moindre dépense (publique) en phase d’achat de ces dispositifs ;
  • reconnaître la recherche dans la T2A par une prise en compte effective de l’innovation et de la recherche dans le financement hospitalier. L’enveloppe Migac [7], initialement prévue pour compenser, non seulement les missions traditionnelles de recherche et d’enseignement, mais également les actions de contractualisation, ainsi que les rôles de recours ou d’introduction des innovations ne remplit aujourd’hui que très partiellement ces objectifs, fragilisant de fait ces missions constitutives et caractéristiques des CHU ;
  • poursuivre les efforts en matière de recherche paramédicale [8] dans la mesure où celle-ci bénéficie deux fois aux établissements: en matière d’attractivité de jeunes paramédicaux souhaitant s’orienter vers la recherche (et l’enseignement) et en matière d’amélioration des soins par le biais des innovations promues ;
  • « La recherche est une des forces incontestées de l’hôpital. C’est un des facteurs d’attractivité vis-à-vis des jeunes générations qui devrait être davantage mis en avant dans une période de doute voire de désamour [...]. [9] » Vis-à-vis des hospitalo-universitaires, il est impératif de trouver collectivement les outils les plus à même de redynamiser l’engagement des jeunes professionnels. La perte d’attractivité des postes de chef de clinique, qui sont les enseignants et les chercheurs de demain, ne doit pas être prise comme un fait acquis. L’amélioration de leur statut est indispensable (rémunération, congés annuels, sanctuarisation du temps de travail universitaire...), tout comme la mise à niveau des statuts hospitalo-universitaires et l’implication en proximité d’une fonction managériale attractive et stimulante pour les jeunes.
 

Une approche globale et probablement interministérielle semble indispensable

Si d’autres solutions sont à la main des établissements [10], notamment à travers une politique RH dynamique à l’égard des chercheurs et plus généralement des promoteurs de l’innovation, une approche globale et probablement interministérielle semble indispensable, au même titre qu’un effort de simplification utile à l’ensemble des acteurs, et notamment des promoteurs.

La proximité d’objectifs, si ce n’est de moyens, entre le MESR et le MSP constitue probablement une piste importante pour libérer la capacité d’innovation des établissements publics. Si cette proximité est sensible, elle peut probablement se renforcer, en prenant autant que possible en compte une approche bottom up, donnant au terrain les marges de manœuvre que certains établissements peuvent légitimement réclamer pour coordonner à l’échelle régionale ou interrégionale cette dynamique.

L’intérêt des équipes pour les enjeux de recherche ne doit pas se résumer à un débat entre experts de haut niveau ou à un clivage entre défenseurs d’une recherche strictement publique et promoteurs d’une recherche articulée avec les industriels. Sans investissement, sans financement du risque, sans intérêt des communautés pour les protocoles innovants, la recherche hospitalière serait contrainte à demeurer dans une tour d’ivoire et à se couper progressivement de ce qui fait sa force : la confiance des patients et l’engagement des équipes.

Notes

[1] Avec plus d’actualité qu’un éventuel renvoi à Rabelais, la Cour des comptes débutait le 24 novembre 2022 son colloque sur la crise sanitaire et les politiques publiques par une table ronde abordant notamment le sujet de la relation entre la préconisation scientifique et le choix politique en période de crise sanitaire (« Comment, en Europe, la science nourrit les politiques publiques pendant les crises sanitaires »). Actes à paraître.

[2] Sur la période 2011-2020, la France a déclaré dans la base ClinicalTrials.gov un peu plus de 20 000 études (13 700 interventionnelles et 6 400 observationnelles). Les CHU assurent la promotion de 6 000 études interventionnelles (44 %) et 4 300 études observationnelles (67 %). La recherche menée en CHU va de l’essai randomisé au suivi de cohorte ou l’étude de dépistage en population générale. Source: CNCR.

[3] Le recentrage nécessaire des financements de la dotation socle des Merri au niveau d’un seuil de publications cohérent avec le soutien à la recherche d’excellence a entraîné l’éviction de plusieurs centres hospitaliers à faible activité de publication. Établir un mode de financement complémentaire afin de maintenir les ressources nécessaires à leur participation aux essais cliniques et autres activités de recherche doit faire l’objet d’une réflexion d’ensemble pour aboutir à des Merri de territoires permettant un pilotage opérationnel (et financé) des actions de recherche tout en conservant une forte capacité d’inclusion à l’égard des patients pris en charge dans différents
types d’établissement.

[4] Ainsi, pour les CHU, la Merri « internes » ne finance en pratique que partiellement le coût des internes, une partie étant liée à la charge de la T2A.

[5] Dans la théorie économique, les salaires des travailleurs augmentent à la faveur de la hausse de la productivité. Ils peuvent ainsi acheter davantage de biens et services. Les entreprises, quant à elles, accroissent leurs bénéfices et peuvent investir et embaucher.

[6] La crise actuelle de la pédiatrie s’illustre concrètement par des transferts de patients vers les CHU, voire entre CHU. Si ces situations sont fréquentes pour des situations complexes sur le plan médical, elles sont cette année acutisées par une contrainte forte sur la capacité de prise en charge en ville et dans les établissements de premier adressage.
[7] Missions d’intérêt général et de l’aide à la contractualisation.

[8] La recherche paramédicale est une activité relevant du rôle propre et autonome des professionnels paramédicaux. Elle a pour objectif de favoriser l’innovation et l’expérimentation de nouvelles approches du soin.

[9] P. Loulergue, « La recherche clinique à l’hôpital : les soins de demain », Hôpital, les #idées des acteurs, Cercle de recherche et d’analyse sur la protection sociale (Craps), 2020, p. 246. https://www.thinktankcraps.fr/wp-content/uploads/2020/11/Livre-Hopital-Web-VF-2007.pdf

[10] Rien ne s’oppose à la participation active des CHU aux activités de création d’entreprise poursuivies par les bio-incubateurs (exemples : le CHU de Lille est membre du bio-incubateur « Eurasanté » et le CHU de Bordeaux est partie prenante dans le bio- incubateur « Victor Segalen – CHU »).
 






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