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« Directeur d’hôpital, un métier difficile mais passionnant »


Rédigé par Joëlle Hayek le Lundi 11 Janvier 2021 à 11:54 | Lu 1311 fois


Ancien directeur général des CH de Manosque et d’Annonay, entre des passages aux Directions des Ressources Humaines, des Affaires Financières et des Systèmes d’Information dans les CH de Vienne et d’Arles, Patrick Charrier publie "Monsieur le Directeur, justement, je voulais vous voir", un ouvrage évoquant ses 39 années au sein de l’hôpital public. Homme de terrain et de dialogue, il nous fait découvrir les multiples facettes d’un métier méconnu. Rencontre.



Patrick Charrier a été directeur général des CH de Manosque et d'Annonay. ©DR
Patrick Charrier a été directeur général des CH de Manosque et d'Annonay. ©DR
Pourquoi avoir souhaité publier un livre de souvenirs ?
Patrick Charrier : Je voulais raconter le métier de directeur d’hôpital, un métier certes difficile mais passionnant, souvent incompris par les professionnels hospitaliers eux-mêmes. Je souhaitais, aussi et surtout, partager ces 39 années passées dans les hôpitaux publics avec mes enfants, petits-enfants et, un jour, arrière-petits-enfants, pour qu’ils puissent appréhender ce qu’était mon quotidien – avec comme fil rouge la dimension humaine d’un métier de terrain, comme le laisse entendre le titre de mon ouvrage.

Cette proximité avec le terrain y transparaît d’ailleurs bien.
Après une rapide incursion, pas très intéressante à mon sens, dans un CHU en début de carrière, j’ai en effet toujours privilégié des postes dans des établissements plus petits, comme le CH de Manosque où j’ai connu beaucoup de bonheur, ou encore celui d’Annonay, pour pouvoir mettre en musique cette proximité avec les agents et les équipes hospitalières. À chaque arrivée dans un nouvel établissement, je mettais en place ce que j’appelais une « O.P.A. sur les esprits » : j’allais dans tous les services et je répondais à toutes les questions, je me montrais disponible et à l’écoute, en prenant le temps nécessaire et sans me presser. Je continuais, ensuite, de faire le tour des services les soirs avant de partir, ce qui donnait lieu à des échanges enrichissants et permettait, bien souvent, de désamorcer certaines tensions. Un directeur doit être dans le dialogue sans compter ses heures. C’est en tout cas ainsi que je concevais – et que je conçois toujours – cette fonction.

Votre carrière, qui s’est déroulée de 1976 à 2015, vous a permis d’être aux premières loges pour plusieurs évolutions devenues structurantes pour l’hôpital. Pourriez-vous nous les évoquer ?
Au CH de Vienne, au début des années 1980, j’ai en effet préparé le passage à la dotation globale, qui est restée en vigueur jusqu’à la mise en place de la tarification à l’activité (T2A). J’y ai également participé aux travaux préparatoires du PMSI, puisque le CH était l’un des deux établissements alors choisis pour tester ce nouveau système de tarification à l’activité – qui n’a toutefois été véritablement appliqué qu’à partir de 2004. Au début des années 2000 au CH d’Annonay, j’ai aussi porté la mise en place des 35 h et son corollaire, l’application de la RTT, qui ont toutes deux eu des effets catastrophiques pour l’hôpital public : alors que le vieillissement de la population progresse chaque année de trois mois en moyenne, on a diminué de plus de 10 % le temps de travail des soignants sans pour autant renforcer à proportion les effectifs… Le malaise actuel des hospitaliers n’est pas étranger à cette situation.

Plusieurs de vos positions étaient par ailleurs quelque peu avant-gardistes, comme vos relations avec les cliniques privées. 
En 1988-1989 au CH de Manosque, j’ai en effet été l’un des premiers directeurs d’hôpital à ouvrir mon établissement vers le secteur privé, en créant des postes médicaux à temps partagé avec la clinique voisine. Dix ans plus tard, le CH a mis ses locaux à disposition d’une autre clinique du secteur. Un projet de coopération tripartite a d’ailleurs vu le jour entre ces trois établissements, mais il ne sera jamais mis en œuvre, faute d’une volonté politique pour le faire aboutir. J’ai, à la même période, fait le constat de l’impossible coopération interhospitalière, personne ne semblant vouloir se hisser au-dessus des querelles de clocher. Pourtant, la mise en place d’une gradation organisée des soins en réseau aurait été bénéfique à tous, en permettant aux petits hôpitaux de réunir leurs forces afin de consolider leurs activités respectives – beaucoup ont, depuis, été absorbés par de plus gros établissements. Sur un autre registre, j’ai eu l’occasion de tester à Annonay un nouveau système de gouvernance, en mettant en place en 2004 un conseil stratégique associant les médecins à la gestion de l’établissement. Cette structure était, in fine, assez similaire au Directoire créé par la loi HPST de 2009.

Deux éléments frappent particulièrement dans votre livre : vos relations avec les syndicats, et le recrutement médical, que vous qualifiez de « rocher de Sisyphe des directeurs ». Pouvez-vous nous en parler ?
Les relations avec les organisations syndicales peuvent en effet être rugueuses… comme vous le confirmera tout directeur d’hôpital ! Il y a eu des moments de grâce, comme au CH d’Arles et au CH d’Annonay, où j’ai pu travailler main dans la main avec des syndicats responsables. Nous avons même réussi à sortir durablement de l’ornière des agents souffrant d’alcoolisme. La vie dans un hôpital est loin d’être de tout repos : confrontés à des actes de vols, de violences, voire d’agressions sexuelles de la part d’agents, nous avons géré ces situations ensemble, en prenant des positions fermes et sans complaisance. Quant au recrutement médical… Si, au cours des 12 années passées à Manosque, l’ouverture des emplois médicaux de l’hôpital aux praticiens des deux cliniques locales m’avait la plupart du temps préservé de cette quête perpétuelle, la situation était tout autre à Annonay, où un bon tiers de mon temps était consacré à cette problématique. Recours aux cabinets d’intérim, recrutement de praticiens étrangers, les pistes sont nombreuses mais pas toujours satisfaisantes. La problématique est d’ailleurs la même pour les recrutements infirmiers. J’ai relaté plusieurs expériences mais elles pourraient remplir un ouvrage entier à elles seules !

Quels ont été, pour finir, vos deux souvenirs les plus marquants de ce parcours au sein de l’hôpital public ?
Ils ont essentiellement trait à des moments très personnels. À Manosque, où j’avais pour habitude de visiter les patients hospitalisés le jour de Noël, j’avais échangé à midi avec un vieil Espagnol qui avait l’air heureux… mais qui s’était suicidé le soir-même – c’est loin d’être le seul suicide auquel j’ai été confronté, mais celui-ci m’avait particulièrement touché. Toujours à Manosque, et toujours durant ma tournée de Noël, j’avais discuté avec un patient hospitalisé en orthopédie, très triste, qui m’apprend que je lui avais déjà rendu visite l’an dernier le jour de Noël. J’ai retenu à grande peine mes larmes. D’autres souvenirs sont plus heureux, comme cet agent malentendant et appareillé qui, à mon départ de l’établissement, m’avait envoyé un petit poème en forme de parchemin pour me remercier de l’avoir embauché. Ce sont ces tranches de vies, ces instants humains, ces petits bonheurs ou ces tragédies qui font le sel d’un métier que j’ai exercé avec passion.

- À lire : Patrick CHARRIER, Monsieur le Directeur, justement, je voulais vous voir, Éditions La Clé du chemin, 2019, 536 pages. Pour acquérir l’ouvrage, écrire à PC07.autoedition@gmail.com.


Article publié sur le numéro de décembre d'Hospitalia à consulter ici .






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