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Hygiène

Rencontre avec Médecins Sans Frontières Suisse : « Il ne peut pas y avoir d’action médicale sans hygiène et questionnement sur l’impact environnemental »


Rédigé par Aurélie Pasquelin le Lundi 15 Novembre 2021 à 13:46 | Lu 734 fois


Référente en Prévention, Contrôle des Infections et en Soins Infirmiers pour Médecins Sans Frontières (MSF) Suisse, Corinne Heaume apporte, avec l’aide de « flyings » et points focaux locaux, son expertise en matière d’hygiène aux équipes positionnées dans 23 pays. Corentine Berthet, coordinatrice durabilité de la chaîne d’approvisionnement pour le mouvement, l'a associée à l'étude sur la mise en œuvre de solutions permettant de réduire, à l’échelle de l’organisation, l’empreinte environnementale des opérations et approvisionnements. Une collaboration pour laquelle il est essentiel d’avoir ces deux profils.



Présent dans plus de 70 pays à travers le monde, Médecins Sans Frontières est organisé en cinq centres opérationnels situés à Bruxelles, Barcelone, Paris, Amsterdam et Genève. Chargés de coordonner les projets humanitaires, ces cinq « sièges » accueillent des salariés apportant leur appui aux équipes de terrain. Basée à Genève, Corinne Heaume, référente de la Prévention, du Contrôle des Infections (PCI) et Soins Infirmiers, accompagne ainsi les projets suivis par MSF Suisse. « Parce qu’il ne peut pas y avoir d’action médicale sans hygiène, il est tout à fait normal que MSF se soit doté, dans chacun de ces centres opérationnels, d’au moins un référent Prévention et Contrôle des Infections (PCI) », indique l’infirmière hygiéniste qui, chaque jour, donne des conseils pour améliorer la prise en charge de l’hygiène dans les structures soutenues par l’ONG.
 

Adapter les protocoles à chaque situation

Si elle n’a intégré le centre Suisse que depuis décembre 2020, Corinne Heaume peut néanmoins se targuer de huit années d’expérience dans le service d’hygiène d’un hôpital français. Titulaire d’un Diplôme Universitaire d’Hygiène Hospitalière, elle s’est à différentes reprises tournée vers l’humanitaire, s’impliquant d’abord dans des projets de terrain avant de rejoindre MSF, au centre opérationnel de Paris puis de Genève. « En tant que Référente des soins infirmiers et de la PCI, j’adapte et je revois les protocoles, afin qu’ils correspondent au mieux aux réalités des terrains souvent très disparates », explique la spécialiste en rappelant que « ce que l’on applique dans nos hôpitaux européens n’est pas toujours applicable en l’état dans les lieux où nous intervenons ».
 

Corinne Heaume, référente de la Prévention, du Contrôle des Infections (PCI) et Soins Infirmiers. ©DR
Corinne Heaume, référente de la Prévention, du Contrôle des Infections (PCI) et Soins Infirmiers. ©DR

« Les aider à avancer »

Alors il faut s’adapter, renforcer les connaissances de chacun, soutenir les projets, répondre aux interrogations des uns et des autres, rester en contact avec ceux présents sur le terrain pour, résume-t-elle, « les aider à avancer ». Afin que les équipes des centres opérationnels puissent justement mener toutes ces missions à bien, MSF a développé plusieurs outils dans le but, par exemple, de récolter des données utilisables dans le cadre d’audits des pratiques. Pour aller plus loin, l’ONG met également en place des actions de formation à l’hygiène sur le terrain, aussi bien au sein des hôpitaux que, plus récemment, dans quelques centres de soin, « premier maillon du système de santé », tient à rappeler Corinne Heaume.           
 

Des « flyings » pour une intervention sur le terrain

« Plus largement, nous formons des professionnels, aussi bien internationaux que locaux. C’est là une dimension majeure de notre accompagnement puisque ces personnes reproduiront le savoir assimilé par la suite, et en particulier les techniques de prévention, de contrôle des infections », poursuit l’infirmière qui en est persuadée : « Même si une mission sur le terrain est écourtée, ces échanges n’auront pas été vains. Plus les professionnels comprendront pourquoi ils appliquent des recommandations, plus ils les mettront en œuvre naturellement et systématiquement ». Au-delà de cet appui local apporté dans environ 23 pays, des salariés du centre opérationnel MSF Suisse se rendent également régulièrement dans environ 75 projets – le nombre de pays et de projets étant en perpétuel remaniement en lien avec les situations d’urgence. Si Corinne Heaume ne s’y déplace pour sa part que très rarement, elle peut néanmoins compter sur les « flyings et points focaux », véritables supports de l’ONG sur les terrains – en l’occurrence des professionnels très mobiles, qui restent entre un et trois mois dans chaque pays pour apporter leur expertise en renforçant les connaissances des équipes sur place.
 

Planetary Health, un axe stratégique…

Ces flyings et points focaux ont un rôle essentiel car je ne pourrai pas à la fois répondre aux questions de tous, revoir les protocoles et être constamment sur le terrain », ajoute la référente qui, en évoquant ses missions, y inclut également l’intégration de la stratégie Planetary Health aux différents projets suivis par la branche helvétique. Cet engagement de MSF Suisse, inscrit au cœur de son plan stratégique 2020-2023, a pour ambition de réduire de moitié l’impact carbone de l’ONG d’ici à 2030. « Pour mettre en œuvre le volet concernant la “Santé Planétaire”, MSF Suisse a développé trois piliers majeurs : réduire notre empreinte environnementale, la mettre en place dans des opérations liées aux conséquences du changement climatique ou des dégradations environnementales, et relayer les témoignages de ces populations », explique Corentine Berthet, coordinatrice durabilité de la chaîne d’approvisionnement pour MSF. Parmi les projets suivis dans ce cadre spécifique, on pourrait par exemple citer la prise en charge, au Kirghizstan, de populations vivant dans des sites pollués par des métaux lourds.
 

… pour réduire l’impact environnemental

« Cette ambition que nous avons de promouvoir les actions environnementales, de répondre à des situations de crise mais aussi de réfléchir à nos pratiques, est de plus en plus abordée par les professionnels de la santé, qui sont aujourd’hui plus conscients et mieux sensibilisés à ces problématiques », constate Corentine Berthet. « L’environnement a un impact fort sur la santé, il est donc normal qu’il entre en considération dans nos projets, et que nos actions elles-mêmes aient le moins possible d’impact environnemental pour ne pas dégrader la santé des populations », complète Corinne Heaume. C’est pourquoi, bien qu’elle reste toujours centrée sur l’action médicale et plus particulièrement l’action médicale d’urgence, l’ONG a ajouté un volet environnemental à ses préoccupations. Ainsi les pharmaciens de l’ONG travaillent sur les différentes possibilités de réduire l’impact lié aux sachets de distribution de médicaments, éventuellement par le biais des sachets biodégradables et non plastiques, tandis que d’autres essayent de réduire leurs consommations d’énergie ou de produits à usage unique.
 

Corentine Berthet, Coordinatrice Durabilité de la Chaine d’approvisionnement. ©DR
Corentine Berthet, Coordinatrice Durabilité de la Chaine d’approvisionnement. ©DR

Un projet sur six mois autour des masques et des gants

Combinant hygiène et environnement, MSF Suisse a en outre lancé un projet d’étude de six mois pour travailler sur l’impact et l’utilisation des masques et des gants, véritables « produits emblématiques de ces derniers mois », comme aime à le rappeler Corentine Berthet. Elle-même impliquée dans les approvisionnements, elle recherche auprès de fournisseurs et de structures de santé des solutions permettant de limiter l’impact de ces équipements de protection individuels. « Le but est ici de parvenir à développer des alternatives physiques, mais aussi de faire évoluer nos recommandations pour réduire les consommations », détaille-t-elle. En tant que référente en hygiène pour ce projet, Corinne Heaume apporte elle aussi son expertise en la matière, par exemple pour évaluer la possibilité de s’équiper en produits réutilisable ou biodégradables, mais aussi pour réfléchir à une utilisation appropriée, en lien notamment avec les protocoles en vigueur. « Comme pour les autres dimensions de mon métier, il va falloir adapter les recommandations aux activités médicales et aux contextes locaux. Et il est fort probable que les solutions que nous trouverons soient différentes en fonction des secteurs », poursuit l’hygiéniste qui en est persuadée : « Ce type d’initiative n’est peut-être qu’une goutte d’eau dans l’océan, mais nous espérons réellement qu’elle fera boule de neige ».

Article publié dans l'édition de septembre 2021 d'Hospitalia à lire ici.

 

Les précautions standards, nerf de la guerre

Présente partout dans le monde, l’épidémie de Covid-19 a eu un impact majeur sur la prise en compte de règles d’hygiène. Pourtant, malgré cette prise de conscience, « il y a toujours du travail à faire dans ce domaine », constate Corinne Heaume qui s’est donc donnée pour mission de renforcer prioritairement les connaissances sur les précautions standards. « C’est le b.a.-ba mais en tant qu’hygiénistes membres d’une ONG, c’est notre rôle de le diffuser. Si les professionnels et le grand public savent tous à quel moment mettre un masque et lequel, quand et comment mettre et retirer des gants, nous aurons déjà gagné une bataille importante », poursuit-elle. MSF multiplie donc les formations et les outils, avec par exemple la plateforme « Tembo », qui héberge de nombreuses vidéos explicatives. « Partout, nous essayons de renforcer les connaissances générales en matière de prévention et de contrôle des infections, auprès de nos équipes locales comme internationales », détaille l’hygiéniste, qui regrette tout de même « un accès à internet souvent compliqué pour les équipes nationales ».

- L’espace d'apprentissage est accessible sur https://tembo.msf.org/?lang=fr
 

Le programme Climate Smart de MSF

Depuis 2017, Médecins Sans Frontières multiplie les motions en faveur de l’environnement et de sa prise en considération dans les actions de l’ONG. Prévu pour durer jusqu’en 2024, le programme Climate Smart s’inscrit totalement dans cette volonté. Piloté par MSF Canada, il prévoit le recrutement d’une équipe pluridisciplinaire où chacun apportera son expertise sur des sujets variés, qui vont du traitement des déchets à l’utilisation des énergies renouvelables, en passant par la gestion de l’eau et son assainissement. « L’idée est ici de définir précisément le rôle et les positions de chacun au sein de l’organisation, dans le but de promouvoir voire de développer des solutions compatibles avec les ambitions environnementales et sociétales de MSF », détaille Corentine Berthet, qui travaille également sur ce projet. « Pour tous ces sujets, nous sommes bien conscients que les discussions se font aujourd’hui pour l’essentiel au niveau des centres opérationnels. Pour autant, et bien que la route risque d’être longue, nous sommes convaincus qu’il est important de mener dès à présent et durablement ces réflexions d’avenir avec nos collègues en poste sur le terrain », conclut la coordinatrice durabilité de la chaîne d’approvisionnement.

- Plus d’informations sur https://msf-transformation.org/news/climate-smart-msf/
 

Corentine Berthet, Coordinatrice Durabilité de la Chaine d’approvisionnement

Issue du secteur privé, Corentine Berthet a rejoint MSF en tant que responsable supply chain dans le cadre de missions sur le terrain. Elle est ensuite devenue support au terrain sur les outils et procédures liés à la chaine d’approvisionnement pour le siège de MSF Suisse, où elle est aujourd’hui coordinatrice durabilité de la chaîne d’approvisionnement. « En ce qui concerne le matériel médical, MSF a opté pour une politique de commande des achats auprès des centrales d’approvisionnement européennes, pour des questions de qualité et de disponibilité des produits », détaille l’ancienne acheteuse pour la grande distribution. Dans les zones où intervient l’ONG, alors que la durée de réception moyenne d’une commande est de quatre mois, « la grande complexité est de jongler avec les délais de livraison et les stocks pour couvrir la demande jusqu’à la prochaine livraison », confie Corentine Berthet. « Nos besoins sont difficiles à estimer alors même que les délais d’approvisionnements sont relativement longs. Mais nous ne devons pas faire de sur-stock au risque de voir des produits périmer, ou au contraire, nous retrouver en rupture et commander en urgence des articles transportés par voie aérienne », complète la Suissesse, qui voit néanmoins dans cette complexité inhérente aux missions de l’ONG « un moyen de réduire notre emprunte environnementale ».
 






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