Pourriez-vous, pour commencer, revenir sur votre parcours ? À quel moment vous êtes-vous intéressée à la robotique médicale ?
Jocelyne Troccaz : Titulaire d’un doctorat en informatique dans les années 1980, je m’intéressais à la robotique, sans pour autant avoir d’attrait particulier pour le monde médical. Dans les années 1990, j’ai rejoint le laboratoire de Techniques de l’ingénierie médicale et de la complexité (TIMC), où j’ai découvert les applications de la robotique en santé, et cela a été une véritable révélation. À l’époque, cette équipe grenobloise faisait partie des rares dans le monde à se spécialiser dans ce domaine. C’est ainsi que j’ai réorienté mes travaux vers des thématiques exclusivement médicales et intégré ce laboratoire de recherche de manière pérenne.
Trente-cinq ans plus tard, vous y êtes toujours active, désormais en tant que directrice de recherche émérite. Quels sont aujourd’hui vos axes de travail ?
Depuis un peu plus d’un an, je suis officiellement à la retraite, mais je poursuis mes activités de recherche à temps partiel au sein de l’équipe. Même si mon implication a naturellement diminué, je reste investie dans plusieurs projets, liés aux gestes médico-chirurgicaux assistés par ordinateur. Nous explorons toutes les technologies susceptibles d’aider les professionnels de santé en situation d’intervention : robotique, informatique, traitement d’images, modélisation, fusion d’informations… La robotique n’est donc plus notre seul axe de recherche et, pour ma part, je me concentre désormais davantage sur le traitement d’images médicales.
Pourquoi avoir choisi de réduire votre implication dans la robotique médicale ?
Ce champ de recherche est particulièrement exigeant. Il demande du temps, des équipements de pointe et des financements conséquents, d’autant plus que nous développons nos propres robots et systèmes. Ce sont des projets complexes et de longue haleine qui, aujourd’hui, peuvent difficilement aboutir sans un partenariat solide avec des industriels. En effet, la réglementation et la certification encadrant les dispositifs médicaux, bien que nécessaires, se sont fortement complexifiées ces dernières années, ce qui rend l’évaluation clinique des dispositifs que nous développons très difficile dès lors qu’un partenaire industriel n’est pas impliqué dès le départ. Mais ceux-ci désirent souvent une preuve de concept déjà avancée avant de s’engager dans un nouveau projet. Le marché de la robotique médicale est également un domaine très compétitif et risqué sur le plan industriel.
Malgré tout, vous continuez de suivre l’actualité du secteur. Quelles sont, selon vous, les prochaines grandes avancées techniques ?
Il existe un véritable fossé entre les innovations issues des laboratoires de recherche et les dispositifs disponibles sur le marché. Les processus industriels atypiques, les coûts de fabrication, les contraintes de production, la rentabilité… tout cela explique en partie pourquoi les robots actuellement commercialisés se ressemblent souvent, reposant majoritairement sur la téléopération, c’est-à-dire la reproduction des gestes du chirurgien. Il y a toutefois des exceptions. Depuis quelques années, on voit par exemple des hôpitaux se doter de systèmes de radiothérapie robotisés, intégrant l’imagerie en temps réel et divers capteurs afin d’ajuster automatiquement la position du robot pour suivre la zone à irradier en fonction des mouvements – respiratoires par exemple – du patient.
Quels sont les sujets de recherche les plus explorés aujourd’hui dans le domaine de la robotique médicale ?
La robotique dite « continue » constitue un champ particulièrement prometteur. Contrairement aux systèmes articulés traditionnels, ces robots sont petits et déformables, sur le modèle d’une trompe d’éléphant, ce qui permet d’atteindre des zones difficiles d’accès de manière plus souple et plus sécurisée. Plusieurs approches sont ici à l’étude, comme l’utilisation de câbles ou de métaux « à mémoire de forme » tels que le nitinol, un alliage de nickel et de titane. La géométrie des structures est également étudiée, avec par exemple des robots à tubes concentriques ou le needle steering[la commande d’aiguilles déformables, NDLR], une technique que nous avons explorée à Grenoble. Celle-ci repose sur un principe simple : lorsque l’on introduit une aiguille biseautée en ligne droite, elle suit une trajectoire courbe, traçant donc un arc de cercle selon la direction du biseau. Si l’on maîtrise ce phénomène, il devient possible de réaliser des trajets complexes à l’intérieur du corps avec des gestes simples mêlant translations et rotations.
Une telle technologie nécessite des outils informatiques très sophistiqués…
Bien sûr, car ces systèmes complexes ne peuvent reposer uniquement sur l’intervention humaine. C’est pourquoi nous travaillons toujours, en parallèle, sur les outils informatiques permettant de les piloter. Le laboratoire TIMC s’y intéresse d’ailleurs tout particulièrement. Nous développons notamment des technologies de traitement d’images et de fusion de données, pour programmer ces robots et pour que le personnel médical puisse accéder à toutes les informations nécessaires au bon moment. Dans le cas d’une opération de la prostate, par exemple, une intervention sur laquelle j’ai beaucoup travaillé, l’échographie est souvent la modalité d’imagerie utilisée en temps réel, mais elle peut être enrichie par les données d’IRM réalisées en amont. Fusionner ces deux sources d’information permet de mieux guider le geste du chirurgien. C’est précisément ce type d’assistance que nous cherchons à rendre plus accessible.
Cet usage coordonné de l’imagerie et de la robotique est donc appelé à se renforcer ?
Oui, et c’est une évolution logique. Tous les robots chirurgicaux ont vocation à être connectés à l’imagerie du patient, et nous pouvons aller toujours plus loin sur ce champ. L’automatisation de certains gestes n’est envisageable que si nous réussissons à modéliser en temps réel les tissus et leurs mouvements, par exemple dans le cas de la chirurgie abdominale. On peut imaginer ici l’intégration de capteurs qui fourniraient des informations actualisées en continu, analysées par des algorithmes capables de replanifier les actions à chaque instant. Pour l’instant, cela reste prospectif, car le développement de robots partiellement ou totalement automatisés impose encore de nombreuses avancées techniques et scientifiques pour assurer une sécurité sans faille, une contrainte nécessaire dans le monde médical. Mais la direction est claire.
> Article paru dans Hospitalia #69, édition de mai 2025, à lire ici
Jocelyne Troccaz : Titulaire d’un doctorat en informatique dans les années 1980, je m’intéressais à la robotique, sans pour autant avoir d’attrait particulier pour le monde médical. Dans les années 1990, j’ai rejoint le laboratoire de Techniques de l’ingénierie médicale et de la complexité (TIMC), où j’ai découvert les applications de la robotique en santé, et cela a été une véritable révélation. À l’époque, cette équipe grenobloise faisait partie des rares dans le monde à se spécialiser dans ce domaine. C’est ainsi que j’ai réorienté mes travaux vers des thématiques exclusivement médicales et intégré ce laboratoire de recherche de manière pérenne.
Trente-cinq ans plus tard, vous y êtes toujours active, désormais en tant que directrice de recherche émérite. Quels sont aujourd’hui vos axes de travail ?
Depuis un peu plus d’un an, je suis officiellement à la retraite, mais je poursuis mes activités de recherche à temps partiel au sein de l’équipe. Même si mon implication a naturellement diminué, je reste investie dans plusieurs projets, liés aux gestes médico-chirurgicaux assistés par ordinateur. Nous explorons toutes les technologies susceptibles d’aider les professionnels de santé en situation d’intervention : robotique, informatique, traitement d’images, modélisation, fusion d’informations… La robotique n’est donc plus notre seul axe de recherche et, pour ma part, je me concentre désormais davantage sur le traitement d’images médicales.
Pourquoi avoir choisi de réduire votre implication dans la robotique médicale ?
Ce champ de recherche est particulièrement exigeant. Il demande du temps, des équipements de pointe et des financements conséquents, d’autant plus que nous développons nos propres robots et systèmes. Ce sont des projets complexes et de longue haleine qui, aujourd’hui, peuvent difficilement aboutir sans un partenariat solide avec des industriels. En effet, la réglementation et la certification encadrant les dispositifs médicaux, bien que nécessaires, se sont fortement complexifiées ces dernières années, ce qui rend l’évaluation clinique des dispositifs que nous développons très difficile dès lors qu’un partenaire industriel n’est pas impliqué dès le départ. Mais ceux-ci désirent souvent une preuve de concept déjà avancée avant de s’engager dans un nouveau projet. Le marché de la robotique médicale est également un domaine très compétitif et risqué sur le plan industriel.
Malgré tout, vous continuez de suivre l’actualité du secteur. Quelles sont, selon vous, les prochaines grandes avancées techniques ?
Il existe un véritable fossé entre les innovations issues des laboratoires de recherche et les dispositifs disponibles sur le marché. Les processus industriels atypiques, les coûts de fabrication, les contraintes de production, la rentabilité… tout cela explique en partie pourquoi les robots actuellement commercialisés se ressemblent souvent, reposant majoritairement sur la téléopération, c’est-à-dire la reproduction des gestes du chirurgien. Il y a toutefois des exceptions. Depuis quelques années, on voit par exemple des hôpitaux se doter de systèmes de radiothérapie robotisés, intégrant l’imagerie en temps réel et divers capteurs afin d’ajuster automatiquement la position du robot pour suivre la zone à irradier en fonction des mouvements – respiratoires par exemple – du patient.
Quels sont les sujets de recherche les plus explorés aujourd’hui dans le domaine de la robotique médicale ?
La robotique dite « continue » constitue un champ particulièrement prometteur. Contrairement aux systèmes articulés traditionnels, ces robots sont petits et déformables, sur le modèle d’une trompe d’éléphant, ce qui permet d’atteindre des zones difficiles d’accès de manière plus souple et plus sécurisée. Plusieurs approches sont ici à l’étude, comme l’utilisation de câbles ou de métaux « à mémoire de forme » tels que le nitinol, un alliage de nickel et de titane. La géométrie des structures est également étudiée, avec par exemple des robots à tubes concentriques ou le needle steering[la commande d’aiguilles déformables, NDLR], une technique que nous avons explorée à Grenoble. Celle-ci repose sur un principe simple : lorsque l’on introduit une aiguille biseautée en ligne droite, elle suit une trajectoire courbe, traçant donc un arc de cercle selon la direction du biseau. Si l’on maîtrise ce phénomène, il devient possible de réaliser des trajets complexes à l’intérieur du corps avec des gestes simples mêlant translations et rotations.
Une telle technologie nécessite des outils informatiques très sophistiqués…
Bien sûr, car ces systèmes complexes ne peuvent reposer uniquement sur l’intervention humaine. C’est pourquoi nous travaillons toujours, en parallèle, sur les outils informatiques permettant de les piloter. Le laboratoire TIMC s’y intéresse d’ailleurs tout particulièrement. Nous développons notamment des technologies de traitement d’images et de fusion de données, pour programmer ces robots et pour que le personnel médical puisse accéder à toutes les informations nécessaires au bon moment. Dans le cas d’une opération de la prostate, par exemple, une intervention sur laquelle j’ai beaucoup travaillé, l’échographie est souvent la modalité d’imagerie utilisée en temps réel, mais elle peut être enrichie par les données d’IRM réalisées en amont. Fusionner ces deux sources d’information permet de mieux guider le geste du chirurgien. C’est précisément ce type d’assistance que nous cherchons à rendre plus accessible.
Cet usage coordonné de l’imagerie et de la robotique est donc appelé à se renforcer ?
Oui, et c’est une évolution logique. Tous les robots chirurgicaux ont vocation à être connectés à l’imagerie du patient, et nous pouvons aller toujours plus loin sur ce champ. L’automatisation de certains gestes n’est envisageable que si nous réussissons à modéliser en temps réel les tissus et leurs mouvements, par exemple dans le cas de la chirurgie abdominale. On peut imaginer ici l’intégration de capteurs qui fourniraient des informations actualisées en continu, analysées par des algorithmes capables de replanifier les actions à chaque instant. Pour l’instant, cela reste prospectif, car le développement de robots partiellement ou totalement automatisés impose encore de nombreuses avancées techniques et scientifiques pour assurer une sécurité sans faille, une contrainte nécessaire dans le monde médical. Mais la direction est claire.
> Article paru dans Hospitalia #69, édition de mai 2025, à lire ici