L'hôpital est un lieu de soins, mais il est aussi par essence un objet politique au sens premier du terme, parce qu’il traduit et absorbe des choix de la société et des hommes politiques qu’elle élit pour les assumer [9]. Il est donc par définition un lieu d’exacerbation des points de vue, en confrontation complexe et permanente entre l’évolution du coût des traitements et techniques, la surconsommation médicale, les justes revendications salariales des professionnels les moins bien rémunérés, les évolutions de leur rapport au travail, les problématiques sociales croissantes de la population, auxquelles l’hôpital public est le plus souvent seul à répondre, et les moyens que la société est prête ou capable de mettre dans sa santé.
L’hôpital public doit rester un acteur majeur de la continuité et de la sécurité des soins et un repère signifiant pour les populations. Il demeure un service public qui a démontré sa très grande capacité d’adaptation à l’aune de la crise sanitaire, mais aussi de la crise des ressources humaines qui l’a suivie.
Dans un environnement marqué par l’érosion de la démographie de l’ensemble des professions de santé et par la hausse des prix, les établissements de recours ne parviennent à assurer leur fonction de bouclier sanitaire qu’au prix d’une dégradation progressive de leur capacité de prise en charge, de leur soutenabilité financière et de la fragilisation de la résilience des équipes.
Sortir des impasses actuelles et conserver la capacité d’innovation de l’hôpital public suppose une série d’actions en transparence et en responsabilité autour d’un nombre limité d’axes, lisibles pour la population comme pour les professionnels de santé :
1° Remettre en place une véritable graduation des parcours et des soins. La restauration de la première ligne ambulatoire sur l’ensemble des territoires et de sa permanence doit permettre d’effectuer l’indispensable transformation de l’offre hospitalière de proximité. Les nouveaux schémas régionaux de santé doivent organiser de manière sécurisée la sortie du « tout partout », et ce en cohérence avec la réforme des autorisations. La France compte encore un nombre de lits d’hospitalisation par habitant parmi les plus élevés d’Europe ; or, la logique de la proximité indispensable en soins primaires dessert dans la plupart des cas la sécurité et l’efficacité de la prise en charge du fait de plusieurs facteurs : un nombre insuffisant d’actes pour garantir la technicité des gestes, un recours massif à l’intérim médical et soignant souvent moins qualitatif, des parcours de soin dégradés par l’insuffisance de présence médicale H24 et 7 j/7 et,
in fine, l’incapacité à maintenir ouvertes de manière stable certaines activités, notamment les urgences. La transformation des capacités MCO, trop dispersées, en lits de SSR permettrait de fluidifier les parcours et contribuerait au bon usage des capacités d’hospitalisation.
2° Sécuriser la permanence des soins : il est urgent de revaloriser les gardes et le travail de nuit en introduisant une pondération de la valorisation de la permanence des soins en fonction du niveau de contrainte effective qu’elle fait peser sur les professionnels. Sans cette revalorisation graduée, nos établissements ne seront bientôt plus en capacité de mobiliser les professionnels dans les services H24. En outre, cette permanence, « socle » des missions de service public, doit peser avec la même exigence sur tous les opérateurs titulaires des autorisations, quel que soit leur statut, dès lors qu’ils bénéficient des mêmes financements publics.
3° Créer un choc de recrutement et de fidélisation des professionnels pour améliorer les conditions de travail et la sécurisation des soins. Si l’adaptation des densités de professionnels au chevet du patient constitue pour les cadres, les chefs de service et les directions un sujet de tous les instants, la
réflexion en devenir sur les ratios d'effectifs ne peut que constituer une réflexion à moyen terme, qui ne peut relever que des établissements publics. Elle repose tout à la fois sur l’évolution des financements et la capacité réelle à former, attirer et fidéliser. Le retrait de la clause sur l’interdiction d’intérim en sortie d’école, les difficultés d’adaptation des capacités de formation du fait de la couverture partielle par les régions des extensions spatiales indispensables, la fin de la couverture financière des formations d’Iade et d’Ibode, l’insuffisante mobilisation des collectivités sur l’aide au logement des professionnels de santé et le manque d’ambition en termes d’attractivité de professionnels étrangers constituent autant d’obstacles à lever.
4° La volonté de revaloriser la place du service, sans nécessairement abolir les pôles dans les plus grands établissements, doit se traduire dans les faits. Cet engagement est une clé pour redonner sens et énergie aux équipes. Il passe par un appui massif aux fonctions managériales pour animer des fonctionnements participatifs et entraînants, aux dispositifs visant à réduire les irritants du quotidien, à la simplification des organisations et à la construction des projets communs. Nous sommes convaincus que ces évolutions en matière d’animation et de vie des équipes sont une des clés de l’attractivité. Ces actions doivent être encouragées et soutenues auprès de l’ensemble des gouvernances hospitalières.
Point n’est besoin d’être un observateur initié de la vie hospitalière pour observer et apprécier la somme des réglementations dont nous nous sommes affranchis pendant cette crise, en nous appuyant sur la loi d’urgence sanitaire et notre bon sens professionnel. Le corps de règles qui pèsent sur l’hôpital public est important et il accentue fortement l’impact de la contrainte financière, réduisant la capacité d’adaptation de l’hôpital. Redonner des marges de manœuvre, de la souplesse de décision et restreindre les normes à leur rôle légitime, celles qui garantissent la qualité des soins, est un défi majeur pour faire évoluer l’hôpital et, à travers lui, le système de santé, dans le «monde d’après».