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Les NBIC, un futur entre fantasme et réalité


Rédigé par Admin le Jeudi 7 Juin 2018 à 09:46 | Lu 2078 fois


Désignant la convergence des nanotechnologies (N), des biotechnologies (B), de l’informatique (I) et des sciences cognitives (C), les NBIC connaissent déjà de nombreuses applications en médecine. Mais ce sigle émergent en France s’accompagne de son lot de questionnements. PAR JOËLLE HAYEK



« L’humanité va se transformer plus vite, plus largement et plus profondément dans les 30 prochaines années que dans les 300 dernières. Les fondations de notre société vont être ébranlées par les couts de boutoirs [des] quatre domaines technologiques majeurs » que sont les NBIC, alerte Loïc Bardon, consultant spécialisé dans les technologies du futur, dans un article érudit – et passionnant (1). Cette 4ème révolution industrielle est « la suite logique de la révolution scientifique de Galilée, Descartes ou Newton qui a démarré il y a 500 ans et qui a déjà donné lieu à trois révolutions industrielles de plus en plus impactantes : celle de la mécanisation via l’eau et la vapeur au 18ème siècle, celle des ‘temps modernes’ de Charlie Chaplin et de l’ère de la production de masse grâce à l’électricité, au 19ème siècle, [et] celle de l’informatisation de la production avec l’électronique et les technologies de l’information au 20ème siècle », ajoute-t-il. Elle est toutefois différente, « beaucoup plus rapide, large et profonde que les autres »
 

La promesse d’une médecine à l’efficacité décuplée

Touchant de nombreux secteurs d’activité, la révolution NBIC a également projeté un lieu « unique, vital, ultrasensible », selon les termes de Vincent Giret, journaliste au Monde (2), dans l’ère des innovations radicales : l’hôpital. « Ces quatre domaines de recherche à l’essor fulgurant ont fait entrer la santé et notre système de soin dans une ‘grande transformation’. Avec une promesse réjouissante, l’avènement d’une médecine à l’efficacité décuplée », se réjouit-il. C’est en effet dans le domaine de la santé que les applications de nanotechnologies sont les plus spectaculaires : « Nanoprothèses, nanorobots chirurgicaux, nanomédicaments se dirigeant tout seuls dans le corps, nanocaméras pour remplacer l’endoscopie traditionnelle,… », détaille Nicolas Bouzou, économiste, dans un essai évoquant ce tsunami à l’œuvre (3). La biologie moléculaire est tout autant concernée : le ‘B’ de ‘biotechnologies’ désigne la reprogrammation cellulaire et la génomique, « deux champs de recherche liés qui progressent vite et qui commencent à diffuser les innovations », poursuit-il. 
 

Le côté obscur de la médaille

Autant d’évolutions soutenues par les progrès exponentiels de l’informatique, qui entre dans l’âge mûr, explique Nicolas Bouzou : « les séquençages, les diagnostics voire les réécritures du génome nécessitent un nombre colossal de données et d’opérations » qui ne sont déjà plus l’apanage de la recherche fondamentale grâce au développement de la puissance informatique. Celle-ci a permis de faire baisser le coût du séquençage du génome de manière spectaculaire en seulement quinze ans. En 2003, il avait fallu pas moins de 10 années de recherches et 2 milliards d’euros d’investissements. Aujourd’hui, la même analyse génomique coûterait environ 750 euros et nécessiterait seulement quelques heures. 
 
Un coût très modique qui n’est pas sans susciter des interrogations scientifiques ou éthiques : côté pile, la découverte de gènes à l’origine de maladies peut justifier un suivi médical particulier ou des opérations préventives. Porteurs d’avenir et d’espoir pour de nombreux malades, les NBIC laissent ici entrevoir de nouvelles manière de guérir. Côté face, « qu’est-ce que cela changera de se savoir prédisposé à Alzheimer, maladie pour laquelle il n’existe aucun traitement préventif ? », s’interrogent  à juste titre ‘Les Décodeurs’ du Monde (4). Sans compter le côté obscur de la médaille. Cette techno-médecine voit en effet certains bio-progressistes en appeler à l’avènement d’un homme augmenté, plus rapide, plus intelligent, vivant mieux et plus longtemps. Ils voient dans les NBIC la promesse d’un être humain meilleur, ‘optimisé’ dans son fonctionnement. 
 

« Le pacte faustien avec la technologie est lourd de conséquences »

Un futur entre fantasme et réalité, auquel Laurent Alexandre, chirurgien-urologue, président de DNA Vision, s’intéresse de près. Notamment auteur de La Mort de la Mort (5), un essai au titre évocateur, il dresse un portrait sombre et vertigineux du monde à venir dans un entretien accordé au Figaro (6) : « Dès que cela sera possible et accessible, la demande d'amélioration de l'intelligence pour les futurs enfants va exploser », ce qui ne sera pas sans impacts sur la vie en société telle que nous la concevons actuellement : « On ne sauvera pas la démocratie si nous ne réduisons pas les écarts de QI. Des gens augmentés disposant de 180 de QI ne demanderont pas plus mon avis qu'il ne me viendrait à l'idée de donner le droit de vote aux chimpanzés ».  Les neurotechnologies ne sont pas en reste : « Jusqu'où augmente-t-on notre cerveau avec les implants intracérébraux ? […] Jusqu'où fusionne-t-on neurone et transistor ? Quel droit donne-t-on aux machines ? […] Les NBIC posent des questions inédites qui engagent l'avenir de l'humanité ». D’autant que, estime-t-il, « l'espèce humaine va devenir immortelle. Dans 100 ans ou 500 ou 1000 ans. Peu importe. La vraie question est celle du prix. Le pacte faustien avec la technologie est lourd de conséquences. On ne deviendra pas immortel sans de grandes modifications de notre humanité ». 
 

Comment réagir face aux dérives de ceux qui souhaiteraient modifier l’espèce humaine grâce aux NBIC ? Des questionnements à la fois philosophiques, psychologiques et politiques, que ni l’Europe ni la France – à l’exception notable de quelques technophiles – ne semblent se poser. « Les GAFA [Google, Amazon, Facebook, Apple] et demain les BATX chinois (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) sont les nouveaux maîtres du monde. L’Europe a raté la révolution numérique », déplore Laurent Alexandre. « Le futur est trop important pour être laissé à des machines intelligentes et à des algorithmes aux mains des géants technologiques américains et chinois. L’Europe peut-elle faire face ? […] Il n’est pas trop tard, à condition de s’en donner les moyens », soutient Loïc Bardon, qui propose plusieurs pistes intéressantes – notamment une mesure frappée de bon sens : « investir massivement dans les technologies NBIC d’après-demain (pas celles dont nous avons déjà loupé le coche) ». La création de contre-pouvoirs est par ailleurs nécessaire pour Un développement maîtrisé des NBIC, rappelle Laurent Alexandre : « La loi va devoir se réinventer pour encadrer l'IA et donc notre vie. […] Un parlementaire qui ne maîtrise pas l'IA – ou qui pense encore que l'IA est un programme informatique banal – va devenir un danger public, une machine à attiser le populisme parce qu'il n'aura aucune prise sur le réel ». Il y a urgence pour que la grande convergence des NBIC, aux promesses nombreuses, puisse bénéficier à tous sans effets secondaires.
 
1 - http://paris-singularity.fr/place-leurope-revolution-cours-nbic/
2 - http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/04/13/l-hopital-l-intelligence-artificielle-et-le-patient_5110740_3232.html
3 - Nicolas BOUZOU, On entend l’arbre tomber mais pas la forêt pousser, JC Lattès Éditions, mars 2013. 
4 - http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/08/18/le-sequencage-du-genome-comment-ca-marche_4472313_4355770.html
5 - Laurent Alexandre, La Mort de la Mort, JC Lattès Éditions, avril 2011.
6 - http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2017/06/02/31003-20170602ARTFIG00207-laurent-alexandre-bienvenue-a-gatacca-deviendra-la-norme.php


Article publié dans le numéro 41 d'Hospitalia, magazine à consulter en intégralité ici.

 






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