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Publicité des médicaments soumis à prescription : la CJUE affine sa jurisprudence


Rédigé par Me Ghislaine ISSENHUTH et Me Olivier SAMYN, Associés, LMT Avocats le Mercredi 18 Juin 2025 à 09:56 | Lu 83 fois


Par une décision du 27 février 2025 (1) , la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’est prononcée sur la notion de « publicité pour des médicaments », excluant de son champ certaines actions publicitaires relatives à des médicaments indéterminés soumis à prescription médicale. Cette décision intervient dans le cadre d’un contentieux relatif à des actions publicitaires mises en place en Allemagne par la société DocMorris NV (DocMorris), pharmacie néerlandaise de vente par correspondance (2).



DocMorris avait mené en Allemagne, depuis 2012, différentes actions publicitaires afin de promouvoir l’achat de médicaments soumis à prescription médicale. Ces actions se traduisaient notamment par des bons d’achat pour des produits de parapharmacie et des médicaments non soumis à prescription médicale, ainsi que par des réductions immédiates sur le montant à payer après l’envoi des prescriptions à la plateforme. 

Au cours des années 2013 à 2015, la chambre des pharmaciens de Rhénanie du Nord a obtenu, auprès du Tribunal régional de Cologne, des mesures provisoires de cessation desdites actions publicitaires considérant que DocMorris avait enfreint la législation allemande sur les prix des médicaments. La majorité de ces mesures a toutefois été annulée en 2017 à la suite d’un recours exercé par DocMorris devant la CJUE (3).

Dans le cadre d’une action en dommages et intérêts introduite par DocMorris à la suite de cette décision, la Cour fédérale de justice allemande a adressé des questions préjudicielles à la CJUE portant sur l’interprétation de la notion de « publicité pour des médicaments ». 

À l’occasion de ce litige, les juges européens ont rappelé les contours de la notion de « publicité pour des médicaments » en soulignant la distinction essentielle selon la nature des médicaments concernés par l’action publicitaire et en mettant en exergue les risques liés à l’assimilation des médicaments à des produits parapharmaceutiques. 
 

Un rappel de la notion de publicité pour des médicaments

La Directive 2001/83 définit à son article 5 la notion de « publicité pour des médicaments » comme « toute forme de démarchage d’information, de prospection ou d’incitation qui vise à promouvoir la prescription, la délivrance, la vente ou la consommation de médicaments »

Elle impose aux États membres de prévoir un encadrement strict des actions publicitaires répondant à cette définition, en interdisant notamment la publicité auprès du public portant sur des médicaments ne pouvant être délivrés que sur prescription médicale. Or, en l’espèce, plusieurs des actions publicitaires mises en œuvre par DocMorris portaient sur des médicaments soumis à prescription médicale. 

Dans un tel contexte, la Cour fédérale de justice allemande a interrogé la CJUE afin de déterminer si la publicité pour l’achat de médicaments soumis à prescription médicale provenant de l’ensemble de la gamme de produits d’une pharmacie relevait de la notion de « publicité pour des médicaments » au sens de la directive et si, dans un tel cadre, une distinction pouvait être faite entre la publicité réalisée au moyen de bons d’achats ou de pourcentage de réduction pour l’achat ultérieur d’autres produits et la publicité réalisée sous forme de réduction de prix et de paiements à effet immédiat. 

Conformément à sa jurisprudence antérieure (4), la CJUE a rappelé que la publicité portant sur des médicaments est notamment caractérisée par la finalité du message ce qui permet de la différencier de la simple information. Ainsi, lorsque le message vise à promouvoir notamment la vente ou la consommation de médicaments, il influence le choix du client pour un médicament donné et donc relève de la publicité au sens de la directive 2001/83. En revanche, lorsque le message influence, en aval, le choix de la pharmacie dans laquelle le client achètera des médicaments, il ne porte pas directement sur un produit de santé et ne relève donc pas de la notion de « publicité pour des médicaments ».

Une distinction selon la nature des médicaments concernés par les actions publicitaires

Sur le fondement de cette jurisprudence, la CJUE a procédé à une distinction selon que le message publicitaire est limité à des médicaments indéterminés soumis à prescription médicale ou qu’il porte sur des médicaments non soumis à prescription. 

Concernant les actions publicitaires portant sur des médicaments soumis à prescription médicale et indéterminés, provenant de l’ensemble de la gamme de produits de la pharmacie, la Cour a considéré que les messages desdites actions ne promeuvent pas la consommation de médicament. En effet, dès lors que l’acte de prescription ne relève que de la responsabilité du médecin, le patient ne dispose alors pas du choix des médicaments, mais seulement du choix de la pharmacie les délivrant. Dans cette hypothèse, l’action publicitaire ne constitue pas une « publicité pour des médicaments » au sens de la directive et n’est donc pas prohibée par le droit européen. C’est notamment le cas lorsque, comme en l’espèce, l’action publicitaire correspond à une réduction ou un paiement à effet immédiat limité à des médicaments indéterminés soumis à prescription médicale.  

En revanche, s’agissant des actions publicitaires prévoyant l’octroi de bons de réduction pour l’achat ultérieur de médicaments non soumis à prescription, le consommateur n’est plus contraint de recourir à un médecin prescripteur et est ainsi susceptible d’être attiré par l’avantage économique pour se procurer de telles spécialités. De ce fait, la CJUE estime que de telles actions publicitaires encouragent l’achat de médicaments non soumis à prescription médicale de sorte qu’elles relèvent de la notion de « publicité pour les médicaments » au sens de la directive 2001/83.
La Cour rappelle en ce sens que les actions publicitaires en cause sont susceptibles de nuire à l’objectif de sauvegarde de la santé publique au regard des risques résultant d’une utilisation excessive ou inconsidérée de médicaments non soumis à prescription médicale. 

Une critique de l’assimilation des médicaments aux produits parapharmaceutiques

La Cour de justice précise enfin que le fait que les bons d’achat permettent également l’achat de produits de parapharmacie ne les exclut pas pour autant du champ de la directive. Au contraire, un tel système conduit le consommateur à assimiler les médicaments non soumis à prescription médicale à des a produits de parapharmacie, puisque les bons peuvent permettre l’achat des premiers comme des seconds. La Cour de justice estime qu’une telle assimilation est susceptible de conduire à une utilisation irrationnelle et excessive de médicaments non soumis à une telle prescription en dissimulant la particularité des médicaments par rapport à d’autres marchandises. Une telle démarche nuit ainsi à l’évaluation objective de la nécessité pour le consommateur de prendre lesdits médicaments.  


Notes
[1] CJUE, 27 févr. 2025, n° C-517/23 Apothekerkammer Nordrhein contre DocMorris NV
[2] CJUE, 4ème Chambre, 15 juillet 2021, n° C-190/20, DocMorris NV contre Apothekerkammer Nordrhein, 
[3] CJUE, 19 octobre 2016, n° C-148/15, Deutsche Parkinson Vereinigung eV contre Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs eV ; Tribunal régional de Cologne, 21 et 22 mars 2017
[4] CJUE, 22 décembre 2022, n° C-530/20, Euroaptieka 


> Article paru dans Hospitalia #69, édition de mai 2025, à lire ici  
 




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