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Marc-Olivier Gauci, architecte de la chirurgie du futur


Rédigé par Joëlle Hayek le Lundi 20 Octobre 2025 à 11:41 | Lu 111 fois


À la croisée de la chirurgie et des technologies de rupture, le Professeur Marc-Olivier Gauci incarne une nouvelle génération de praticiens-chercheurs qui façonnent le bloc opératoire du futur. Spécialiste de la chirurgie de l’épaule et des technologies numériques innovantes au CHU de Nice, il pilote plusieurs projets structurants autour de l’intelligence artificielle, de la modélisation biomécanique, de la chirurgie augmentée et des jumeaux numériques. Rencontre.



Votre parcours est fortement orienté vers l’innovation technologique au bloc opératoire. Pourriez-vous nous en parler ?

Pr Marc-Olivier Gauci : Je suis chirurgien orthopédiste et traumatologue au CHU de Nice, au sein de l’Institut Universitaire et Locomoteur du Sport (IULS), où je dirige l’unité de chirurgie de l’épaule. Mon expertise clinique porte principalement sur les prothèses et la chirurgie du sport. La chirurgie assistée par ordinateur constitue pour sa part le cœur de mes travaux de recherche. En 2018, j’ai fondé le laboratoire ICARE (Intelligence artificielle, Chirurgie computation et Augmentée, Réutilisation des données et Évaluation multiparamétrique), devenu unité labellisée INSERM en 2023 à l’Institut Valrose, et qui a pour mission de développer des modèles et outils numériques automatisés fiables et d’en évaluer l’intégration en conditions cliniques. 

Ce n’est pas votre seule responsabilité…

En effet, je coordonne également la Fédération hospitalo-universitaire (FHU) Plan & Go, consacrée à la chirurgie planifiée, guidée et patient-spécifique. Je porte aussi le programme « ReBone », un projet de recherche hospitalo-universitaire (RHU) sur le jumeau numérique chirurgical ostéo-articulaire 3D automatisé, sélectionné en 2023 par l’Agence Nationale de Recherche dans le cadre des appels à projets France 2030. J’assure par ailleurs la direction scientifique du projet « EDS Méditerranée », un entrepôt de données de santé réunissant plusieurs établissements de la région PACA. Enfin, je préside la Société française de chirurgie assistée par ordinateur en orthopédie (CAOS France), et je suis titulaire depuis 2024 d’une chaire à l’Institut 3IA Côte d’Azur, où mes travaux portent sur la chirurgie computationnelle et augmentée. 

Quelle est la différence entre chirurgie augmentée et chirurgie computationnelle ?

De manière schématique, la chirurgie computationnelle regroupe l’ensemble des étapes allant de l’exploitation des données de santé à la création de jumeaux numériques. La chirurgie augmentée en est l’application concrète au bloc opératoire, en appui direct aux gestes chirurgicaux pour le patient. Ces approches sont donc complémentaires, au service d’un même objectif : valoriser intelligemment les données de santé. Les EDS, notamment fédérés comme le projet Méditerranée, sont essentiels pour structurer, fiabiliser et mutualiser les données des patients – avec leur consentement, bien sûr – en vue d’un usage secondaire pour la recherche ou le pilotage de la santé publique. Leur potentiel grandira encore avec l’interopérabilité future entre ces EDS, le Health Data Hub français et l’Espace Européen des Données de Santé (EEDS).

Comment anticipez-vous les évolutions technologiques en chirurgie ?

Je pilote, au sein de l’Agence de l’Innovation en Santé, un groupe prospectif sur la chirurgie du futur. Il rassemble des chercheurs et des cliniciens impliqués dans la recherche translationnelle et appliquée, afin de définir des priorités nationales, au-delà du seul secteur médical. En effet, le bloc opératoire est un environnement clos et technique, qui présente des similitudes avec d’autres milieux contraints comme l’aérospatial ou le militaire. Les innovations en chirurgie assistée peuvent donc avoir des applications transversales dans ces domaines.

Sur quelles innovations concrètes travaillez-vous actuellement ?

Je développe notamment le concept de bloc opératoire augmenté, qui vise à capter, en temps réel, les signaux faibles émis par le chirurgien et le patient afin d’optimiser l’intervention. Cela permet de mieux gérer les risques chirurgicaux et d’améliorer la qualité des pratiques. La chirurgie française bénéficie déjà d’un très haut niveau d’expertise et de technologie, mais notre ambition est d’aller plus loin : renforcer la précision du geste, fluidifier les parcours opératoires et maximiser le bénéfice pour le patient, qui reste notre priorité absolue. Parallèlement, je travaille sur les jumeaux numériques, notamment ostéo-articulaires, pour leur rendre un usage clinique. Par exemple, nous publierons prochainement, en partenariat avec l’Institut Pasteur, l’INRIA et deux Instituts 3IA (Côte d’Azur et Pr[AI]rie), une base de données ouverte pour stimuler la recherche collaborative et la science ouverte dans les pathologies du système locomoteur.

Ces jumeaux numériques ouvrent-ils la voie à une chirurgie de précision ?

Leur potentiel est en effet immense dans les pathologies dégénératives comme l’arthrose, mais aussi en traumatologie, souvent sous-estimé alors qu’elle constitue le troisième fléau de santé publique reconnu par l’OMS, après les cancers et les maladies cardiovasculaires. Les conséquences peuvent être lourdes : handicap, perte d’autonomie, altération durable de la qualité de vie. Dans ce contexte, la qualité de l’acte chirurgical devient déterminante, car elle conditionne le devenir fonctionnel et l’espérance de vie en bonne santé du patient. Le jumeau numérique intervient ici comme un ancillaire – ou une aide – technique sur mesure, capable de modéliser l’anatomie et la biomécanique du patient pour guider le geste du chirurgien avec une précision inédite. Il permet une personnalisation extrême de l’intervention, jusqu’à alimenter la fabrication en temps réel de dispositifs imprimés en 3D. Le CHU de Nice, très dynamique dans l’innovation, est d’ailleurs en train de mettre en place une plateforme dédiée à cette technologie.

Quelle est la place de la vision augmentée dans le bloc opératoire de demain ?

Le CHU de Nice a été pionnier dans l’utilisation de casques de réalité augmentée et mixte pour la pose de prothèses d’épaule. Ces dispositifs agissent comme ancillaires cognitifs : ils enrichissent la perception du chirurgien en affichant, en temps réel, des informations essentielles pour orienter les décisions à chaque étape de l’intervention – ce qui représente un avantage précieux lors de chirurgies complexes. Cependant, aussi prometteuses soient-elles, toutes ces innovations doivent faire la preuve de leur efficacité clinique avant d’être intégrées à grande échelle, et potentiellement prises en charge par l’Assurance maladie. La plateforme entre l’IULS, le laboratoire ICARE et le Laboratoire d’Anatomie Côte d’Azur dirigé par le Pr Nicolas Bronsard, constitue un véritable tiers-lieu d’évaluation multiparamétrique et acteur de confiance pour les industriels et les agences d’évaluation. Elle joue un rôle fondamental dans le test des technologies en conditions réelles, l’évaluation de leur sécurité et valeur ajoutée, ainsi que dans la définition d’indicateurs spécifiques pour objectiver leurs bénéfices cliniques. 

Le mot de la fin ?

Travailler sur la chirurgie du futur est une aventure passionnante, rendue possible par un écosystème d’exception. Le CHU de Nice, l’Université Côte d’Azur et leurs partenaires créent un terreau propice à l’innovation. Nous collaborons étroitement avec les équipes de Sophia Antipolis, première technopôle d’Europe, notamment avec l’INRIA et le laboratoire I3S (Informatique, Signaux et Systèmes de Sophia Antipolis) sur la vision augmentée. Les synergies avec les autres unités INSERM locales, l’Institut 3IA Côte d’Azur, le programme IDEX, les écoles d’ingénieurs comme Centrale Marseille ou EURECOM, ainsi que la Maison de l’Intelligence Artificielle des Alpes-Maritimes, nourrissent une dynamique interdisciplinaire rare. C’est cette intelligence collective, à la croisée de la médecine, des sciences numériques et de l’ingénierie, qui nous permet de construire la chirurgie de demain.

> Article paru dans Hospitalia #70, édition de septembre 2025, à lire ici 
 




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