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Chaire INOS : comprendre et accompagner les innovations organisationnelles


Rédigé par Joëlle Hayek le Lundi 13 Octobre 2025 à 09:56 | Lu 68 fois


Dans un contexte de profondes mutations de notre système de santé, l’innovation devient une nécessité, poussant les établissements de santé à expérimenter de nouvelles formes d’organisation, souvent impulsées par les acteurs de terrain. Cette thématique est justement au cœur des travaux de la Chaire INOS (Innovations organisationnelles en santé), créée par l’École universitaire de management Grenoble IAE-INP, UGA, en partenariat avec le CERAG, le Centre d’études et de recherches appliquées à la gestion de l’Université Grenoble Alpes. Pour en savoir plus, Hospitalia a rencontré le Docteur Fabien Canolle, enseignant-chercheur et maître de conférences en sciences de gestion, actuel co-pilote de la Chaire INOS.



Vous vous intéressez particulièrement aux innovations organisationnelles en santé. Pourriez-vous nous en parler ?

Dr Fabien Canolle : En effet, cette thématique constitue le cœur de mes travaux depuis 2021, date de mon arrivée à Grenoble IAE-INP. Sur le plan pédagogique, j’enseigne le management et la gestion des ressources humaines, ainsi que la théorie des organisations. Depuis 2023, je suis également responsable du Master 2 « GRH et Santé », développé avec l’IFCS de Grenoble. J’y anime un cours sur les innovations organisationnelles en santé, adossé à la Chaire INOS que je co-pilote depuis 2023 aux côtés d’Annick Valette.

Justement, pourriez-vous nous présenter la Chaire INOS ?

Issue d’un appel à projets de Grenoble IAE, le Chaire INOS, fondée par Annick Valette, est un espace de fertilisation croisée réunissant chercheurs, enseignants, professionnels de santé et organisations autour d’un même objet : les innovations organisationnelles en santé, c’est-à-dire des innovations de procédés par exemple susceptibles de redéfinir les frontières professionnelles, voire de transformer l’institution. La Chaire INOS vise à recenser, comprendre et évaluer ces initiatives, à en mesurer la valeur ajoutée, le potentiel de diffusion et de degré de réversibilité, afin d’en faciliter la conception et le déploiement. Ses travaux se structurent autour de trois axes, les innovations de pratiques, la gouvernance multi-acteurs et les dispositifs innovants, et enfin les transitions des organisations de soins.

Pourriez-vous détailler ces différents points ?

Le premier axe, centré sur les innovations de pratiques, est coordonné par Annick Valette : il explore l’émergence et la diffusion de nouvelles approches professionnelles. Par exemple, des travaux menés par Cyrille Mennessier, chercheur-consultant au CERAG, ont porté sur les facteurs favorisant la diffusion des pratiques d’hypnose à l’hôpital. Il s’agit d’analyser comment ces pratiques, souvent initiées par des infirmiers anesthésistes, se disséminent par la constitution de communautés de pratiques. D’autres recherches, menées par Morgane Dejean, doctorante en sciences de gestion à l’Université Grenoble Alpes, ont étudié l’impact des délégations de prescription introduites avec les infirmiers en pratique avancée (IPA), sur les dynamiques interprofessionnelles et la redéfinition des frontières métiers.

Qu’en est-il du deuxième axe ?

Consacré à la « gouvernance multi-acteurs et les dispositifs innovants », celui-ci est piloté par Sébastien Gand, enseignant-chercheur maître de conférences en sciences de gestion à Sciences Po Grenoble, et interroge la notion de parcours, notamment médico-social, sous l’angle de la mise en dispositif des organisations. Céline Daclin, doctorante en sciences de gestion au CERAG, y étudie par exemple les dispositifs d’accompagnement liés au parcours de réinsertion professionnelle des jeunes en difficulté, tandis que Sébastien Gand commence à examiner aujourd’hui l’impact de la transition numérique en santé sur la structuration des parcours.

Le troisième et dernier axe est celui que vous pilotez. Que pourriez-vous nous en dire ?

Celui-ci analyse, d’une part, comment les transitions en santé s’appuient sur des innovations organisationnelles et, d’autre part, comment ces nouvelles organisations génèrent elles-mêmes des transitions. Mes recherches portent plus particulièrement sur la transition écologique dans les hôpitaux : je me concentre sur les soins éco-responsables, également appelés éco-soins ou soins éco-conçus, interrogeant la manière dont les logiques environnementales s’intègrent aux pratiques organisationnelles. Ces travaux dépassent d’ailleurs le seul périmètre de la Chaire INOS, puisqu’ils s’inscrivent également dans le projet FORESEE, un consortium porté par l’Université Grenoble Alpes et lauréat du programme France 2030, qui étudie les effets vécus du changement climatique : les réactions individuelles qu’il induit – c’est à ce niveau que s’insèrent mes travaux –, les mécanismes territoriaux d’adaptation, et la redéfinition du contrat social à l’aune des défis environnementaux.

Sous quels angles explorez-vous l’impact transformationnel des pratiques écoresponsables ?

Il s’agit d’abord d’identifier les conditions d’émergence d’un projet de soins éco-responsables : qui en est l’initiateur, quelles sont ses dynamiques de diffusion, quels effets a-t-il sur le vécu professionnel des soignants ? Autrement dit, quels changements provoque l’introduction d’un projet d’éco-soins, pour qui et à quel niveau ? Grenoble offre ici un terrain privilégié. Le CHU Grenoble Alpes est en effet porteur de nombreuses initiatives en matière d’éco-soins, ce qui nous permet d’en analyser les déterminants et les effets à l’échelle individuelle. Par ailleurs, l’écosystème grenoblois, incluant la métropole, les institutions locales et le tissu industriel, est très engagé sur les enjeux de durabilité, notamment en matière de dispositifs médicaux. Cela nous offre l’opportunité d’adopter une approche transversale, depuis la conception même des dispositifs jusqu’à leur intégration dans les usages professionnels. Un post-doctorant est en cours de recrutement pour appuyer ces travaux, et nous espérons disposer, d’ici fin 2026, d’un corpus de données suffisant pour tirer de premiers enseignements.

Auriez-vous déjà quelques pistes ?

Il est encore trop tôt pour se prononcer, mais plusieurs constantes émergent. La plupart des innovations organisationnelles en santé naissent d’un acteur pionnier dont l’action, soutenue par un management volontaire, aboutit par exemple à la création d’une communauté de pratiques qui peut, à terme, redéfinir le collectif. Nous l’avons notamment constaté lors des travaux sur l’hypnose. Reste à identifier ce qui, dans le cadre des éco-soins, relèverait d’une spécificité. Là aussi, les projets semblent être portés par des pionniers moralement convaincus par l’urgence écologique – des médecins, des pharmaciens et des cadres de santé essentiellement –, qui rallient leurs pairs jusqu’à susciter l’émergence d’« ambassadeurs ». Quand l’intérêt environnemental rejoint l’intérêt économique, les pratiques tendent alors à s’institutionnaliser. Ils changent d’échelle, s’inscrivent dans une logique plus quantitative, notamment à travers la mesure de l’impact carbone – dans l’espoir, en retour, de transformer l’institution. 

Les unités durables mises en place au CHU de Bordeaux illustrent bien cette dynamique…

Tout à fait. Toujours est-il que certaines logiques semblent partagées avec d’autres formes d’innovation organisationnelle en santé. Les éco-soins obéissent-ils à des mécanismes particuliers ? Ont-ils des ressorts propres, des freins spécifiques ? Les freins classiques rencontrés dans le monde hospitalier – cloisonnement des services, manque de communication interprofessionnelle, inertie organisationnelle – se manifestent-ils différemment lorsque l’enjeu est écologique ? C’est précisément ce que nous cherchons à éclairer avec nos travaux. Par ailleurs, les éco-soins semblent porter un fort potentiel de reconfiguration des rôles professionnels, en particulier lorsqu’ils sont initiés par des cadres de santé. C’est pourquoi nous cherchons également à les analyser sous l’angle de la transformation des frontières professionnelles, en prolongement des travaux de Morgane Dejean mentionnés précédemment. Dans quelle mesure des soignants peuvent-ils en prendre l’initiative, avec quels partenaires s’associent-ils pour les mettre en œuvre, et quelles en sont les répercussions sur leurs relations interprofessionnelles ?

Le mot de la fin ?

Les innovations organisationnelles en santé bouleversent en profondeur les pratiques établies. Elles redéfinissent les rôles et les responsabilités au sein des équipes de soins, questionnent les légitimités professionnelles et transforment les formes traditionnelles de coopération. Ces évolutions soulèvent des enjeux majeurs en matière de management, de pilotage du changement et de gestion des ressources humaines. Dans ce contexte en mutation, notre projet s’inscrit dans une volonté d’éclairer ces dynamiques à travers une analyse des réalités du terrain. Il vise à nourrir les réflexions sur les transformations à l’œuvre, en apportant des connaissances utiles tant aux chercheurs qu’aux praticiens. Nous espérons ainsi contribuer activement à un champ de recherche en plein essor, et fournir des repères concrets pour accompagner les organisations de santé dans la conduite de leurs transformations.

> Article paru dans Hospitalia #70, édition de septembre 2025, à lire ici 
 




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