Hygiène

Agir, écouter, prévenir : les combats quotidiens de l’hygiéniste hospitalier


Rédigé par Joëlle Hayek le Mercredi 8 Octobre 2025 à 11:06 | Lu 108 fois


Situé à la croisée des savoirs scientifiques et des réalités de terrain, le métier d’hygiéniste hospitalier exige rigueur, dialogue et adaptabilité, dans un contexte hospitalier marqué par la complexité croissante des prises en charge. Engagée dans cette voie avec conviction, le Docteur Céline Sakr partage sa vision d’une spécialité en constante évolution, où chaque action compte pour améliorer la sécurité des patients.



Pour commencer, pourriez-vous nous parler de votre parcours ?

Dr Céline Sakr : Pharmacien hospitalier et clinique de formation, j’ai découvert l’hygiène hospitalière à l’occasion de mon stage de master 2 en santé publique et risques liés à l’environnement hospitalier à l’université de Paris. Ce stage, réalisé en 2021 au sein de l’équipe opérationnelle d’hygiène (EOH) de l’hôpital universitaire Henri Mondor (AP-HP), dans le service du Professeur Jean-Winoc Decousser, s’est déroulé durant la deuxième phase de la pandémie Covid. Nous faisions alors face à de nombreux clusters et il fallait limiter les transmissions croisées, notamment dans les services de gériatrie. Bien qu’un contrôle total fût illusoire, des actions de prévention ciblées permettaient d’agir concrètement. Cette expérience m’a profondément marquée et a suscité une véritable vocation. J’ai donc poursuivi dans cette voie, et occupe depuis juillet 2021 un poste de praticien hygiéniste. En novembre 2022, j’ai entamé une thèse de science à l’Université Paris Est Créteil (UPEC), avec un nouveau stage à l’hôpital Henri Mondor. Il s’agit d’un cadre particulièrement stimulant pour aborder les enjeux de la prévention et du contrôle de l’infection (PCI), à la fois sur le plan des thématiques traitées, que des synergies existantes avec les autres spécialités impliquées dans ces actions, comme le laboratoire d’hygiène environnementale.

Justement, sur quelles thématiques travaillez-vous actuellement ?

J’interviens dans l’ensemble des services, mais je me concentre actuellement surtout sur la réanimation chirurgicale, où je travaille sur la prévention des méningites associées aux dispositifs de dérivation ventriculaire externe (DVE). Nous avons récemment été confrontés à plusieurs cas de méningites nosocomiales liés aux DVE, ce qui nous a conduits à accompagner les équipes soignantes dans l’évolution de leurs pratiques afin de renforcer la sécurité des patients. Je suis également impliquée dans la prévention des infections du site opératoire (ISO) en chirurgie cardiaque. Là encore, l’objectif est d’optimiser les pratiques de soins, par exemple en matière de pansements postopératoires, pour réduire le risque infectieux. Par ailleurs, je m’intéresse particulièrement aux transmissions de bactéries hautement résistantes, et plus spécifiquement à l’apport du séquençage de nouvelle génération dans l’étude de la dissémination des bactéries d’origine environnementale. J’ai d’ailleurs eu l’opportunité de présenter mes travaux de thèse lors du congrès 2024 de la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H), dans le cadre des communications libres retenues par le comité scientifique. Ce projet consiste à utiliser la génomique pour retracer les modes de transmission d’une bactérie ciblée, afin d’ajuster au mieux les stratégies de prévention en milieu hospitalier.

Êtes-vous confrontée à des résistances bactériennes dans votre pratique quotidienne ?

Pas particulièrement dans le cadre des méningites liées aux DVE, qui sont le plus souvent des micro-organismes d’origine commensale. Cela dit, un cas d’infection à entérobactérie productrice de bêta-lactamase à spectre étendu (BLSE) nous avait vivement alertés, car il restait exceptionnel dans ce contexte. En revanche, la question des résistances bactériennes se pose de manière beaucoup plus marquée chez les patients immunodéprimés, à l’instar des transplantés rénaux, qui présentent fréquemment une colonisation ou une infection par des entérobactéries productrices de carbapénèmases (EPC). Par ailleurs, comme dans la plupart des établissements de santé, nous sommes parfois confrontés à des cas de Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM), ainsi qu’à des situations épidémiques impliquant des bactéries hautement résistantes émergentes (BHRe).

Vous évoquiez l’accompagnement des équipes soignantes dans l’évolution de leurs pratiques. Faites-vous face à des difficultés particulières ?

Modifier des habitudes bien ancrées n’est jamais simple. Mais nos interventions sont, dans l’ensemble, bien accueillies. Cela tient en grande partie à notre démarche, qui se veut avant tout collaborative et non descendante. Nous prenons le temps d’aller à la rencontre des soignants, d’écouter leurs contraintes et de comprendre les réalités de leur quotidien avant de proposer des ajustements adaptés. La communication joue un rôle central dans notre spécialité. Nous savons qu’une recommandation n’a de portée que si elle est comprise et perçue comme pertinente. C’est pourquoi nous n’hésitons pas à réexpliquer, autant que nécessaire, les mécanismes de transmission, qui peuvent être complexes et abstraits, notamment parce que les agents pathogènes en cause sont invisibles. Notre objectif est d’inscrire les actions de prévention dans une logique partagée, en tenant compte des pratiques de terrain. Lorsqu’un véritable dialogue s’installe, dans le respect mutuel des expertises, les évolutions s’opèrent naturellement – et dans la bonne direction.

Le dialogue serait donc, en somme, l’arme principale de l’hygiéniste hospitalier ?

Il est illusoire de croire qu’on peut imposer une nouvelle pratique ou faire appliquer une recommandation par la contrainte. Notre rôle repose avant tout sur la négociation, l’écoute et une pédagogie constante, doublée d’une bonne dose de psychologie. Un message perçu comme contraignant ou culpabilisant aura peu de chances d’être bien reçu. C’est pourquoi nous veillons à formuler nos recommandations de manière positive et constructive, pour favoriser l’adhésion des équipes. L’enjeu est de créer une dynamique collective. Pour que les actions de prévention soient réellement efficaces, il faut impliquer l’ensemble du service, à chaque étape : évaluation, audits, suivi… C’est cette mobilisation partagée qui permet, au fil du temps, de faire évoluer les pratiques durablement.

Mobilisez-vous de nouvelles approches pédagogiques, comme la simulation ?

Oui, nous avons effectivement recours à la simulation comme outil pédagogique. Plusieurs ateliers ont déjà été organisés, par exemple autour du maintien, de la surveillance et du changement de pansement des cathéters centraux et des picclines (cathéters intravasculaires), ou des procédures d’habillage et de déshabillage. Nous avons aussi travaillé, avec les étudiants en médecine, sur la prescription et l’application des précautions complémentaires d’hygiène par le personnel médical, en fonction de l’état infectieux du patient, et organisé des ateliers relatifs à l’hygiène des mains à destination des étudiants en stage infirmier. Chaque session reposait sur des mises en situation clinique, basées sur des cas cliniques, afin de permettre aux soignants d’évaluer et de renforcer leurs compétences dans un cadre sécurisé. Nous avons également mis en place une « chambre des erreurs » à destination des infirmiers et aides-soignants. Cet outil aborde de façon concrète des gestes du quotidien tels que l’hygiène des mains, la gestion des excréta ou encore le port de gants. Ces méthodes, plus interactives et immersives que les formations classiques, facilitent l’ancrage des messages de prévention et favorisent l’appropriation des bonnes pratiques par les professionnels.

Un mot sur votre engagement au sein du JePPri, la commission des jeunes professionnels de la prévention du risque infectieux de la SF2H ?

Le JePPri me permet d’échanger régulièrement avec d’autres jeunes professionnels passionnés par la prévention et le contrôle des infections (PCI), et de participer à des actions de sensibilisation à l’échelle nationale. Je suis notamment active au sein du groupe éditorial, où je contribue à la rédaction de la newsletter du JePPri, ainsi qu’à la conception de contenus pédagogiques diffusés sur les réseaux sociaux. Cela inclut, par exemple, la réalisation de vidéos ludiques et informatives à l’occasion d’événements comme la Semaine de la sécurité des patients ou la Journée mondiale de l’hygiène des mains. Je participe également au groupe « Réseaux sociaux », qui est toujours actif lors des congrès SF2H et de l’ESCMID pour diffuser largement les sessions intéressantes auprès du public en ligne. Ce sont autant de moyens defaire passer les messages de prévention de manière accessible, et donc plus impactante.

Pour finir, quelle est votre vision de l’hygiéniste hospitalier de demain ?

Je pense que l’hygiéniste hospitalier de demain devra mobiliser les mêmes qualités fondamentales que celles attendues aujourd’hui : une grande ouverture d’esprit, une capacité d’écoute réelle, l’aptitude à accueillir les critiques constructives émanant des services de soins – notamment lorsque des recommandations semblent difficilement applicables sur le terrain – et une volonté affirmée de trouver des compromis. L’hygiéniste doit faire preuve d’humilité. Il ne peut pas travailler en surplomb, mais en partenariat avec les soignants, qui sont les acteurs de terrain au contact direct des réalités cliniques. Une prévention des infections efficace repose sur la complémentarité des expertises, celle des hygiénistes et celle des professionnels de santé. Nombre de recommandations, même scientifiquement fondées, ne peuvent être appliquées à la lettre sans adaptation. Il nous appartient de les ajuster aux contraintes et aux pratiques réelles, pour avancer ensemble de manière pragmatique et efficiente. La prévention du risque infectieux est un champ exigeant, en constante évolution. C’est l’alliance de la rigueur scientifique, de la pédagogie et de l’intelligence collective qui permettra, demain, comme aujourd’hui, de faire progresser durablement les pratiques.

> Article paru dans Hospitalia #70, édition de septembre 2025, à lire ici 




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